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Les Damned au Cabaret Sauvage – 3 mars 2023

samedi/04/03/2023
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« A demain », formule habituelle cette fois inhabituellement chargée de sens et de félicité. Parce qu’elle a été prononcée par Dave Vanian, le chanteur des Damned, en conclusion d’une interview de vingt-huit minutes accordée à ce webzine de midi à midi trente le jeudi 2 mars 2023. La veille de leur douzième concert à Paris donc, le liminaire ayant été donné au Palais des glaces le 28 avril 1977, à l’occase de la dernière des trois soirées des « Nuits Punk » concoctées par feu Marc Zermati. Après ledit Palais, mais également le Bataclan, la Loco, l’Elysée Montmartre, le Batofar (« The Boat… » m’a-t-il marmonné se remémorer dans un sourire nosferatesque) ou encore le Zénith (première partie de l’ultime concert parisien de Motörhead), The Damned est de retour et investit ce vendredi 3 mars le Cabaret Sauvage. Que ce chapiteau boisé situé au septentrion de la capitale est joli ! Et méritait amplement de se coltiner la montée du boulevard MacDonald à la nuit tombante par trois ou quatre degrés Celsius. Tout comme la promesse de pouvoir gouter live quelques morceaux de « Darkadelic », le douzième album studio du quatuor (devenu quintet depuis l’ajout d’un synthé) de Croydon à paraître le 28 avril prochain. Incontestablement un des disques de 2023, ainsi que la quintessence de la musique anglaise à guitares et à voix suave ; un son de gentleman intemporel quelque part entre les Who circa 1964-1966, Secret Affair, Morrissey (en moins fob), et certaines galettes mâtinées soul de Paul Weller. Aussi de pouvoir entendre en vrai les historiques et féroces « Neat Neat Neat » et « New Rose », le second des deux brulots n’étant rien de moins que le premier 45 tours « punk » de l’histoire de sapiens.

Le set surf punk de Smalltown Tigers (9/10 pour l’idée du nom) est attaqué à coups de charlet à vingt heures devant une audience calme et, on l’espère pour les têtes d’affiche, incomplète. Le timbre de la bassiste rappelle immédiatement celui d’Amanda E Rootes des regrettées Fluffly, son chant éraillé et grinçant étant soutenu par les chœurs de la guitariste et la batteuse. Smalltown Tigers semble apprécier une relative uniformité : la Les Paul Junior et la Fender Precision sont blanches, les minijupes noires à fines rayures verticales blanches. Un petit côté 54 Nude Honeys occidental. La dizaine de courtes chansons s’enchaînera quasiment sans temps mort ni blabla si ce n’est pour exposer avant l’envoi de leur troisième roquette qu’elles sont italiennes et qu’elles ne parlent pas bien le français. Tant l’épaisseur du son que le cœur à l’ouvrage donnent l’impression d’une intense répète en public, la guitariste prenant le relai du chant sur certaines chansons, la batteuse se dandinant de façon pop sur son tabouret. Tous les plans du style sont consciemment assemblés dans des morceaux ramassés riches en accords plaqués sertis de soli apaches, et drivés de papapoum sur le tom basse et explosions de cymbales à intervalles réguliers. La température est mine de rien montée d’une strate. L’excitation scénique également, les trois jeunes musiciennes jouant carré avec une conviction non factice. La guitariste tente une première pose à la Johnny Ramones au pénultième morceau. « Thank You All, merci France ! » (ce sera effectivement l’unique halte hexagonale de cet « EU Tour 2023 ») remercia-t-elle à la pause finale avant de faire ovationner les patrons de la soirée, de rendre grâce aux présents d’être venus si tôt, d’enjoindre à suivre le trio sur Instagram, Facebook et YouTube, d’annoncer qu’elles seront présentes à l’étalage de merch ; puis d’assener, seconde pose genoux fléchis à la Johnny Ramone devant public inexpressif, une teigneuse reprise de Motörhead : « R.A.M.O.N.E.S. » (encore Pivert !). Dernier et jouissif « 1, 2, 3, 4 ! ». Les lumières jaunâtres du Cabaret se rallument à vingt heures trente-deux sur des premiers rangs poivre et sel ainsi que les trois passionnées transalpines rangeant illico et fissa fissa leur matériel. Je vous renvoie au refrain du premier morceau du premier album international d’AC/DC afin d’exprimer mon ressenti en cet instant.

AC/DC justement, la sono diffusera durant la trentaine de minutes faisant office d’entracte (en mega laid back) « Back in Black », mais aussi « You Really Got Me », « School’s Out », « The Passenger », « Come Together », « Sultans of Swing » et… « Hotel California » (WTF). Les roadies s’affairent sur l’estrade, dressant notamment une bannière frappée du logo des Damned imprimé en écriture goth bleu fluo sur taches rouge fluo. Celui qui teste tour à tour chacun des micros porte un t-shirt (3XL) Prong. Point « Melle Agnès » à présent : moult parkas kaki, des vestes en jean denim doublées en laine, des tricots de peau Motörhead mais pas ou très peu de cheveux longs, peu de barbes, pas de casquettes mais des bonnets, une tripotée de Dr. Martens classiques à huit trous. Moyenne d’âge cinquante-neuf ans. On reconnaît quelques têtes connues du Landerneau, mais également au-delà (Pierre Mikaïloff, entre autres auteur du très recommandable « Gainsbourg confidentiel », se constitue un étroit passage travée gauche). Une colonie d’anglais a effectué le déplacement dans cet excentré 19e. Devant moi deux ventripotents lads devisent gobelets de bières en pognes, les mots « Brexit », « Referendum », « Empire », « House of Lords » et « Modern Democracy » se détachant par bribes auditives du vrombissement dorénavant créé par la foule. Un autre gusse narre fiérot à ses potes dans un accent parisien pur sucre l’antédiluvien concert d’Alice Cooper et de Status Quo. Le Cabaret est désormais plein comme un coco tout beau. Il est vingt-et-une heure dix. Dans les coulisses côté droit de l’estrade, l’on distingue le distingué Dave Vanian, apprêté et fin prêt à se montrer.

L’immuable Captain Sensible est le premier à sortir du bois, ou plutôt de derrière la bâche formant rideau, du côté gauche d’une scène à présent baignée de lumières violacées, dégingandé et débonnaire, ovationné, son légendaire béret rouge visé sur ses cheveux blancs, de fines lunettes fumées sur le nez, une veste en jean sans manches sur une carcasse en S quelque peu voûtée, Converse roses à étoiles blanches aux petons, SG bordeaux en bandoulière. Il est de suite rejoint par le tout aussi mince Paul Gray, basse Rickenbacker, trois-quarts en cuir et béret noirs, tiags ainsi que t-shirt MC5, qui badine en compagnie du progueux Monty Oxymoron lequel prend place derrière son clavier Roland à autocollant The Misfits. Leur manager (aux faux-airs d’un Steve Jones en chemise bucheron) scotche à l’arrache deux listes des chansons devant leurs pieds de micros, puis ramasse au passage et à la hâte un gobelet vide qu’un couillon de la lune vient de projeter. Au « Bonsoir mes amis » (en français) du Capitaine pouce droit levé vers le haut répond la deuxième d’une pléthore d’ovations, ajoutant un (en anglais) « Nous sommes les Damned, merci beaucoup Paris d’être venu ce soir » de circonstance. Vêtu comme hier à l’hôtel Alba, ayant simplement remplacé depuis la pochette de son costume, noir à l’instar de ses lunettes, de son Borsalino ainsi que de ses impeccables chaussures vernies à bouts pointus, Dave Vanian se fraye tête baissée presque discrètement un passage à travers les trois instrumentistes sous une nappe de synthé ainsi que les premiers accords de « Street of Dreams ».

Vanian n’est plus (depuis des lustres) le crayeux farfadet proto-gothique de 1976. Non. C’est une tiède et élégante fusion entre Robert Fripp et le Juge Doom (dans Roger Rabbit) qui entame avec confiance le premier couplet de « Street of Dreams », ponctuant chaque phrase de celui-ci d’un revers de sa main droite. Micro chromé années cinquante en paume gauche pour une version bien plus crooneuse que celle de l’album « Phantasmagoria » de 1985. S’il ne gigote pas, le public en pamoison n’en loupe pas une miette, d’ores et déjà captivé par le charisme ainsi que la voix caressante et assurée d’un digne émule de Scott Walker. Ma voisine d’un certain âge à chignon grisâtre, et aux traits ne cachant pas sa provenance d’outre-Manche est accoudée contre une rambarde, et médite énamourée. Au premier rang pressée contre la barrière une élancée blonde peroxydée à badges parfait sosie d’Agnès Soral dans « Tchao Pantin » connaît visiblement les paroles de ce classique new wave sur le bout des ongles. Pas qu’elle de surcroit. Premier d’une tournée européenne de vingt-sept spectacles (demain 4 mars le Casino de Sint-Niklaas), ce concert vespéral va s’avérer à équidistance entre un tour de chauffe et une soirée dégustation. En effet, les Damned vont délivrer à l’assistance onze des douze nouveaux morceaux (à l’exception de « Roderick », une délicate et théâtrale déclamation so british, susceptible de faire passer l’intégrale de The Divine Comedy pour une démo de Napalm Death) du fab’ « Darkadelic » à paraître ce printemps. Avec dans l’ordre, de façon quasiment enchaînée : « Invisible Man » (premier simple) ; le Mod « Bad Weather Girl » ; « You Gonna Realise » ; « Western Promise » ; « Beware of the Clown » ; le Who alike « Wake the Dead » ; le northern soul « Follow Me » ; le rock’n’roll « Motorcycle Man », compo du bassiste ; le nostalgique « Leader of the Gang » évoquant une turbulente et lointaine jeunesse ; « From your Lips » ; et « Girl I’ll Stop at Nothing », dont le tonique et chaleureux refrain fait penser à The Style Council, l’autre groupe de Paul Weller, infortuné voisin de chambrée des Damned à Mont-de-Marsan millésime 1977. Quelque peu surprise et dépourvue de repères, l’assistance fera toutefois accueil attentif à ces nouvelles ritournelles anglocentrées (il y aura d’ailleurs un pogo). Des compositions complexes émaillées de fioritures et soli pertinents du Capitaine Sensible, chaque instrumentiste étant à l’exception peut-être du batteur (portant chemise Ben Sherman à carreaux bleu pâle et rose parme du plus bel acabit) en solo permanent, les cinq hommes en parfaite cohésion assurant bloc, Sensible et Monty Oxymoron (ressemblant à un Jean-Marie Proslier surmonté d’un jewfro) œuvrant aux chœurs, Vanian ne cessant pour sa part de battre du vernis la mesure et de claquer des doigts dans le vide façon Michel Jonasz. Le chanteur arpentera permanemment la scène de gauche à droite et de l’avant vers l’arrière, glissant sur celle-ci à l’aide de ses souliers. Sur le flanc droit dans la pénombre le manager observe chaque élément du show assis derrière son ordinateur portable. Captain Sensible semble perturbé par un vilain larsen persistant. Il s’en émeut auprès du mec au t-shirt Prong. Au mitan, il crache par terre courbé sur sa Gibson, son glaviot faisant reculer d’un pas une sécu en coupe-vent peu accoutumée à ce genre de manifestation d’un autre siècle. Le thermomètre de l’enceinte ne va s’arrêter de grimper tout du long. Vanian desserre puis ôte sa cravate puis ouvre trois boutons de sa fine chemise ; son acolyte se débarrassant de sa plébéienne veste débardeur, dévoilant ainsi un épais t-shirt à bandes rouges et noires cousues grossièrement et décoré de quelques badges. So 1977. Mais pas que. Quelques dizaines de minutes durant, le chapiteau est transporté au bord de la Mersey ou dans un pub de Brighton, à une époque néanmoins indéfinissable tant les références brassées sont nombreuses ; le public parisien est délicatement transbahuté de l’autre côté de la Manche, sur le côté le moins vulgaire de la culture anglaise.

Les fans reprennent leurs marques cognitives vers la fin du gig. Et recommencent à chanter refrains familiers tout en sautillant de joie. A la satisfaction collective « Love Song » et « Machine Gun Etiquette » de 1979, et surtout un nerveux (mais réfréné) « Neat Neat Neat » de 1977 sont restitués par Vanian désormais en bras de chemise après avoir tombé la veste, entrant à soixante-six ans dans le très ouvert Club des performers contraints de tout donner en s’économisant. La petite bouteille d’eau minérale posée devant la batterie s’avère utile entre chaque chanson. Bénéfique. C’est d’ailleurs maintenant qu’il a plus souvent la bouche entrouverte que l’on reconnaît son rictus punk d’antan. Tandis que le batteur maintient le rythme endiablé à la caisse claire, le maître de cérémonie descend dans la fosse afin d’emprunter le téléphone d’un sexagénaire qui filmait puis remonte sur scène avec, immortalisant longuement ses partenaires en gros plan (notamment Sensible, ne parvenant toujours pas à faire taire son larsen) avant de le restituer au veinard (YouTube ?). Cocasse « Wot ! » en rappel, le « (Si, Si) Je suis un rock star » du bassiste-guitariste des Damned, son tube de 1982 repris à tue-tête par un Cabaret Sauvage en sueur et joyeux, le débonnaire Captain rappant humoristiquement tout en balançant ses cocottes funky, Vanian pour le moins en retrait s’autorisant quelques discrets « Say Wot ! ». Puis vient le mélancolique et symphonique « Eloise », classique de 1968 du défunt chanteur pop Barry Ryan, repris par Claude François l’année d’après ainsi que par nos Damned depuis 1986. Une jeune femme monte sur scène pour danser quelques instants, avant d’être gentiment (mais fermement) reconduite par le manager qui en a vu d’autres. « Smash It Up » de 1979 est ensuite introduite par un Captain Sensible affirmant avoir aperçu Mylène Farmer au bar du Cabaret… Un « Smash It Up » entonné avec ferveur par la grande punkette du premier rang tandis qu’un Lustucru à béret rouge mouline son air guitar à quelques encablures dans la fosse. Fin du rappel. « New Rose » n’a nullement été joué, et impossible de tourner les talons sans « New Rose »… Pas davantage d’angoisse les aminches, étant considéré d’une part que les lumières de la salle ne sont pas rallumées, et d’autre part que le type à t-shirt Prong n’a pas commencé à remballer le matos…. Les mains dans le dos il attend sagement. Tout comme la foule. La Ligne 7 attendra elle-aussi. Les Damned réinvestissent en toute logique la scène (à vingt-deux heures quarante-cinq) accordant à Paris son second (et inestimable) rappel ; afin de nous délivrer (dans les deux acceptions du terme) un « New Rose » magnifique. Et intemporel.

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