Chronique de Le rock progressif aux États-Unis dans les 1970’S : Une histoire discographique

samedi/01/06/2024
656 Views

Auteur : François Robinet

Titre : Le rock progressif aux États-Unis dans les 1970’S : Une histoire discographique

Éditeur : Camion Blanc

Sortie le : 27 octobre 2023

Note : 16,5/20

Clair, docte, méthodique, nuancé, pluridisciplinaire (cette maîtrise des cartes et des données socioculturelles du Midwest est tout simplement remarquable), pédagogue et respectueux des conceptions d’autrui, dès les premières pages, François Robinet nous donne une excellente image des auteurs progueux. En définitive, cette façon de procéder est presque aux antipodes des indécrottables contempteurs de cette musique : les rock critiques ayant fait leurs armes iconoclastes dans les années 80, les péremptoires biberonnés à l’esthétisme post-punk qui croient dur comme fer que Jethro Tull représente en 2024 l’ennemi à descendre. Le rock progressif aux États-Unis dans les 1970’S : Une histoire discographique a pour ambition originale et intéressante l’étude d’un des enfants pauvres de l’histoire de la musique : le rock progressif étasunien entre 1970 et 1980. Il couvre une période qui commence à la fin du psychédélisme et s’achève avec l’avènement du rentable AOR. De 1969 (« avec comme acte de naissance conventionnel In the Court of the Crimson King de King Crimson ») à 1974 (« marqué par la sortie de Red du même groupe »), le premier âge, et « âge d’or », du rock progressif est avant tout celui de six groupes britanniques (King Crimson donc, Yes, Jethro Tull précité, Emerson Lake and Palmer, Genesis et Pink Floyd), de menues scènes anglaises (l’École dite « de Canterbury » avec Caravane et Soft Machine, proches du free-jazz) et européennes (l’avant-gardiste krautrock bien évidemment, ou encore Gong, Magma et Ange par chez nous). Mais on ne trouve quasiment aucune formation américaine, les premières estampillées « prog » travaillant alors leurs gammes dans l’anonymat, et ce jusque vers 1973.

Dès lors, « L’absence d’une scène progressive substantielle aux États-Unis est une source d’étonnement à plusieurs égards ». D’une part, parce que depuis 1954 les USA ont été de toutes les épopées rock (considérant le fécond « dialogue musical entre les États-Unis et le Royaume-Uni » depuis 1963) ; d’autre part parce qu’un public féru de prog anglais et de culture chrétienne (principalement les populations du Midwest) trépignait alors d’impatience devant des estrades vides. C’est pointu. Cela augure à n’en point douter de solides démonstrations théoriques et techniques, ainsi que de profitables sorties des sentiers battus. Lesquelles sont entamées page 24 sur un semi-constat d’échec quant à la nécessaire définition des termes du sujet : « le rock progressif se définit par une liberté totale vis-à-vis des carcans potentiels imposés à la musique populaire. Liberté dans les emprunts comme nous venons de le voir, liberté dans la façon de jouer (expérimentation, durée), liberté dans l’instrumentation, qu’elle soit acoustique ou électrique (et électronique) (…) bien prétentieux serait celui qui compterait y mettre un terme. » En toute honnêteté scientifique, François Robinet précise ensuite ses sources, puis procède à un état des lieux bibliographique des pages 31 à 35 conduisant à ce constat : il n’existe pas d’ouvrage consacré au rock progressif américain des années 70.

À l’image de son travail, le plan du livre est de facture universitaire. Quatre chapitres se succédant de façon chronologique et thématique, chacun divisé en deux ou trois I. Tout commence par « Un rendez-vous manqué » (les années 1969 à 1974 donc, sans véritable rock prog US) et se termine par « Une scène originale : à la recherche du rock progressif étatsunien » (en gros, la fin des septantes, le rock prog US ayant intégralement échappé aux déflagrations punks), plus précisément « Vers le hard FM ». Entre-temps, François Robinet se sera lancé « À la recherche des premiers signes progressifs (1970-74) » (sous-partie consacrée à « La transition du hard rock au rock progressif : les débuts du heavy prog », à propos d’obscurs combos tels Sir Lord Baltimore ou Captain Beyond, nous éclairant sur la consanguinité entre hard rock et prog), puis nous aura décrit « Une scène progressive sous influence britannique » (en premier lieu celle de Yes). Outre une totale maîtrise des étiquettes, les mots de l’auteur ont les vertus de l’éloquence et de la variété, le style rédactionnel est didactique quoique imagé. S’il ne parle jamais de lui, l’on devine d’emblée François Robinet morgane de rock progressif, de son histoire, de ses tenants (une parfaite connaissance du Pet Sounds des Beach Boys, qu’il qualifie de « soubassements » du genre, du proto-prog dialoguant avec le classique, englobant Procol Harum et les Moody Blues – chers à Léo Ferré –, mais aussi des Doors, puis de ses aboutissements tels le néo-progressif – « avec comme tête de pont Marillion » – puis (plus tard encore) du metal progressif –  « on peut sans trop de risque affirmer qu’Images and Words, deuxième album de Dream Theater, 1992), est au moins le premier chef-d’œuvre dans ce sous-genre »).

Le profane (de même que l’initié, lequel trouvera ici de nouvelles veines discographiques à forer) découvre des dizaines et des dizaines de formations aux noms chatoyants, quasiment inconnues au bataillon : Touch, After All, Gipsy, Dragonwyck, the Viola Crayola, Oho, Musica Orbis, Random, the Muffins, Earwacks, Eardance, Ixt Adux, Cartoon… Il s’initie à certaines subtilités, telle la différence entre free jazz et jazz-rock puis jazz fusion. Et découvre que Jean-Luc Ponty a été l’objet d’un « culte » au Texas. Le tout paré de pochettes de 33 Tours dantesques et acidulées (« l’iconographie progressive ») comme autant de témoignages et de voyages (parfois proches des galaxies de Druillet, à l’image de celle de Hot Flash, First Attack! They’ll Never Take Us Alive paru en 1977), qui ont fait la renommée du genre des deux côtés de l’océan : celle de Starcastle en page 162 est tout bonnement « magnifique » (je partage l’avis de l’auteur) ; celle de l’unique album de l’obscure Luna Sea de 1976 est (incroyablement) identique à celle d’un album marquant sorti quinze ans plus tard par les mastodontes Queen, soit une éternité au regard de l’histoire du rock ainsi que de la créativité musicale de la seconde moitié du vingtième siècle… En conclusion de cette démonstration minutieuse, globale et magistrale, des pages 259 à 264, François Robinet récapitule et synthétise son propos : il s’agit d’une scène tardive et réduite, notamment en raison de la faiblesse de ses labels, parente d’un certain hard rock tant au début qu’à la fin de la décennie. Puis il rend un sincère hommage à trois spadassins underground passés sous les radars dans les années 80, quelque part entre NWOBHM, Rush, rock sudiste et prog. Sinon, j’ai quand-même vérifié : l’auteur est professeur agrégé d’histoire et chercheur en histoire contemporaine (spécialiste des mouvements populistes de la fin du dix-neuvième siècle en France, en Espagne et aux États-Unis, ainsi qu’en sociologie électorale). Ce chercheur dunkerquois et auvergnat avait par ailleurs rédigé un ouvrage similaire consacré au rock prog français, publié chez le même éditeur en 2020… Ceci expliquant tout cela. Chemin faisant, les éditions Camion Blanc ajoutent un éminent opus à leurs étagères déjà fort bien achalandées.

Merci à Angélique Merklen pour la relecture.

Tags
,

Leave A Comment