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Chronique de Blood Fire Death : L’histoire du metal suédois

mercredi/15/11/2023
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Auteurs : Ika Johannesson, Jon Jefferson Klingberg (Trad. Angélique Merklen)

Titre : Blood Fire Death : L’histoire du metal suédois

Éditeur : Camion Blanc

Sortie le : 22 mars 2023

Note : 18/20

 

« L’abus des livres tue la science » affirmait Jean-Jacques Rousseau dans Émile, ou de l’éducation (1762). Nullement l’abus des livres de chez Camion Blanc, une sélective librairie rock et metal forte de près de quatre cent références, et s’en enrichissant annuellement d’une vingtaine. Nos éditions du poids lourd ont publié le 22 mars dernier Blood Fire Death : l’histoire du metal suédois originellement sorti en l’an de grâce 2011 sous l’intitulé Blod Eld Död : en svensk metal historia, dont la version anglaise a été traduite avec brio dans la langue de Jacques Toubon par notre collaboratrice (au vocabulaire riche et canaille), la Havraise stakhanoviste Angélique Merklen. Les concepteurs de cette somme de 616 pages, fruit de plusieurs années d’un labeur initié au cours de la décennie 2000, sont Ika Johannesson, journaliste musicale réputée et présentatrice de Kulturnyheterna (« Actualites culturelles ») sur Sveriges Television, et Jon Jefferson Klingberg, scribouillard mais aussi guitariste des vétérans punks de Docenterna (seize albums au compteur depuis 1980) ainsi que des inclassables Whale (souvenez-vous de la ritournelle fusion alike « Hobo Humpin’ Slobo Babe » la nuit sur M6 vers 1994…). Des connaisseurs, des érudits. Leur ouvrage figurait en cinquième place des ventes de l’éditeur français à la fin de l’été dernier, devançant au palmarès interne le Rammstein juste derrière l’indéboulonnable White Line Fever de qui-on-sait… Sur les XV chapitres de ce monticule septentrional, quatre sont consacrés à un groupe du cru : Bathory (III) ; Dissection (IX) ; Entombed (XI) ; Watain (XV). Son intitulé constituant plus précisément un emprunt à celui d’un morceau des blackeux précités de Bathory : « Blood Fire Death » de 1988, septième piste de 00:10:30 sur les huit composant l’album éponyme, considéré comme précurseur parfois même comme « pierre angulaire » de ce qui deviendra le sous-genre « viking metal ».

Il fallait le faire, puisque le metal suédois possède une place primordiale (« La majeure partie de l’avant-garde du metal est issue de Scandinavie – plus précisément de Suède » affirment les auteurs en page 11) depuis un peu plus de trente ans parmi les musiques estampillées « metal » (un « Glossaire des genres de metal » est à ce titre didactiquement inséré en pages 605-608). Opuscule pédagogique. Vivant et vivace : le court prologue narrant l’avant-concert d’HammerFall au Gloria-Theater de Cologne en 2007 est un pur délice. Ika et Jon cristallisent leur savant propos autour du triumvirat groupes – individus – événements, mettant en relief une évolution musicale « mais parfois esthétique et même idéologique ». Leur approche se révèle sociologique (les différences entre les acteurs de Göteborg et de Stockholm notamment), culturelle (le phénomène des fanzines), anthropologique (le rapport entre metal suédois et business, la place des femmes, celle des homosexuels…) ainsi que géographique (le récit est mené depuis deux coins, très différents à tous points de vue : Stugun, dans la province nordique rurale de Jämtland, bourg natal de Jon ; la banlieue sud de Göteborg où a grandi Ika, et d’où émergea le death metal mélodique, la branche plus connue sous le nom de « son Göteborg »). Que de chemin parcouru depuis le lancement de la juvénile gazette Poster par l’Allemand Hans Hatvig en 1973, et surtout depuis la publication en 1983 de cet article anonyme dans le transgressif mensuel OKEJ (autre création d’Hatvig) déplorant l’amateurisme et l’acculturation de la scène nationale… Pas plus de dix années plus tard, dans nos soirées rue Danielle Casanova à Montreuil, un jeune bassiste-guitariste chevelu, par ailleurs cousin de mon ami Plaud, me dressait dès qu’il avait cinq minutes un état des lieux énamouré des deux (et brulantes) scènes scandinaves d’alors, et me confiait dès que faire se pouvait son admiration pour Entombed ; ce fendard Limougeaud nommé Marc Zabé évoluait à l’époque dans Necromancia, une formation provinciale sous forte influence death suédois, il cofondera quelques dizaines de mois plus tard Anorexia Nervosa…

Une captivante série de récits, d’anecdotes, de portraits, de saynètes ainsi que de témoignages explique et détaille cet inattendu bond en avant, effectué entre 1983 et 1993 par toute une jeunesse de culture luthérienne : les coulisses du concert des passionnés (et immatures) jumeaux Erik et Per Gustavsson de Nifelheim d’Uddevalla ; le pyrotechnicien Gunnar Ousbäck (ex-assistant d’Ingmar Bergman) et son « guck » (explosif) contre toute attente mal dosé lors d’un spinaltapesque show des antédiluviens Heavy Load ; les débuts de Candlemass et de Leif Eiding ; la genèse dorée de Bathory ; les difficultés de communication entre Dead et ses partenaires norvégiens de Mayhem ; (le désormais paisible et débonnaire) Tom Tompa maudissant en 1988 les délégués des parents d’élèves en griffant jusqu’à l’hémoglobine son visage corpse painted à l’occasion d’une kermesse ; l’explosion d’une bombe au concert de Deicide en 1992 (dont l’Américain leader Glenn Benton avait une semaine auparavant fait l’apologie de la cruauté envers les animaux, dans une interview pour le tabloïd Aftonbladet…) marquant selon les auteurs coup d’arrêt à l’expansion du death metal en Suède ; ou encore, les roadies de Watain en vacances en Corée du Nord… Tout y est détaillé y compris les rencontres réalisées : avec Börje Forsberg, le père du regretté et secret Ace (Quorthon) ; avec Jørn Stubberud dit « Necrobutcher » de Mayhem à Ski, puis à Kråkstad ; ou encore le café puis la délicate collation en compagnie du Norvégien Gaahl (« colin avec de la purée de chou-fleur, du beurre clarifié, des radis et des oignons rouges au vinaigre. Joseph accompagne les plats d’Arcese, un vin blanc de la région du Piémont ») pris dans un bar à vin du centre-ville de Bergen. Mara, l’ex-copine de Varg Vikernes (puis de Jon Nödtveidt de Dissection, autre repris de justice) figure elle-aussi au banc des interrogés. L’investigation parfois voisine avec l’enquête en territoire hostile (les rapports avec le néo-nazisme ou la tendance à l’automutilation sont étudiés), car le livre prend le parti d’aborder principalement l’histoire des scènes dites « extrêmes » (pas, ou très peu donc, de Sabaton, Ghost ou d’Amaranthe…). Au passage, l’on déduira de cette fourmilière informationnelle l’insoupçonnée influence de KISS sur lesdites scènes… Passionnant. Romanesque. Exhaustif. Dérangeant. Trve. Ce cossu factuel mettra en joie le lecteur initié ; l’intelligibilité du propos éveillera l’intérêt du profane : un certain regard pourra d’ailleurs être porté par ce dernier sur une (ex) verdeur passionnée et inventive, souvent snobée, parfois exécrée. À recommander également aux amateurs d’histoires rock et autres anecdotes de coulisses, ainsi plus généralement aux amoureux de la contrée de Selma Lagerlöf ; ils s’amuseront du brusque et sévère dévergondage de tout un pan d’une nation flegmatique voire introvertie. Ultime détail : les duettistes rédacteurs furent les invités de l’épisode #207 de The Official Danko Jones Podcast, et furent questionnés une heure et quatre minutes durant sur cette œuvre par cet inarrêtable puits d’érudition qu’est Danko… Bref, et quoi qu’il en soit, ce livre est un mvst.

 

À dévorer en écoutant (notamment) :

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