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Therion – Satra à la Machine du Moulin Rouge le 25 février 2024

mercredi/06/03/2024
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Les groupes suédois se suivent et ne se ressemblent guère. Enchaîner ce dimanche les néo-classiques Therion sur les greasers Lucifer de vendredi dernier donne l’impression de troquer les préceptes de Charles Manson contre ceux d’un naturopathe nivernais, de passer sans transition d’un bad trip à Palm Desert à un pique-nique sur l’île de Södermalm, de refourguer une visite nocturne des catacombes contre un abonnement au Théâtre du Chatelet. Les deux groupes étant par bonheur basés dans la capitale du Royaume, ça leur fera au moins un point commun et nous évitera d’alimenter le sempiternel conflit Stockholm / Göteborg. Comme il est agréable de chroniquer des artistes étrangers fort différents ! Et que la scène suédoise est riche ! Groupes aux approches opposées, quoique tous deux mordus d’occultisme. Si Lucifer fait référence à Lucifer, Therion (du grec moderne « θηρίον », qui signifie « la bête » ou « l’animal sauvage ») se réfèrerait à la Bête de l’apocalypse (à laquelle Aleister Crowley s’identifiait depuis l’enfance, se désignant lui-même comme « Maître Therion », voire « La Bête 666 »). Il s’agit d’un emprunt juvénile au ténébreux 33 Tours de Celtic Frost To Mega Therion (1985).

Luciferian Light Orchestra est par ailleurs le nom d’un projet solo initié en 2015 par Christofer Johnson, le guitariste et cerveau de Therion. L’ex-combo de death suédois devenu au fil des années une exigeante formation de metal symphonique se produit donc ce 25 février à la Machine du Moulin Rouge. Écrin de choix tant pour la musique que pour le visuel. N’ayant pas donné la sérénade depuis l’an de grâce 2018 en la cité de Jean-Baptiste Poquelin et de Prosper Mérimée, la troupe stockholmoise aura également à cœur de rattraper un rendez-vous manqué (Therion devait jouer au Trabendo le 18 novembre 2022, concert à la dernière minute annulé tout comme l’intégralité de leur tournée), ainsi que de faire découvrir la conséquente et raffinée trilogie « Leviathan », trois volumes alambiqués à l’identique intitulé publiés en 2021, 2022 et 2023, les deux premiers chez Nuclear Blast, le troisième chez Napalm Records le 15 novembre dernier. À l’origine pensé comme le successeur de Beloved Antichrist de 2018, la simple galette est devenue triple, Christofer Johnsson et le fringant vocaliste Thomas Vikström ayant mis à profit créatif les mois de confinement. Lors de notre conversation de fin novembre, Vikström m’avait expliqué qu’ils avaient réparti leurs compositions surabondantes et diversifiées en trois tomes : « le plus “commercial” des trois en premier, les morceaux plus sombres regroupés sur le deuxième, puis les plus ambitieux et expérimentaux sur le troisième ». Classieux, aurait dit Serge.

L’ami lecteur l’aura sans doute compris, un concert de Therion, c’est l’assurance d’un spectacle de qualité par des professionnels chevronnés. Une portion congrue est accordée à l’improvisation. D’ailleurs la liste des morceaux présentés chaque soir depuis le début du Leviathan Tour initié le 13 janvier dernier à Malte n’a pas varié d’une destination à l’autre, d’Athènes à Santiago, de Bogota à Bucarest, de Poznań à Oberhausen hier soir. « Je pense que nous possédons un très bon sens de l’organisation et du timing, ainsi que de ce qui est bon en même temps que pas bon, parce que nous ne sommes pas des gens très souples ! Le bon, côté, c’est que, quand on dit trente minutes, c’est trente minutes ! », m’affirmait une Linnéa Vikström très terre-à-terre à l’occasion du dernier Hellfest, la blonde chanteuse des hard rockeuses suédoises Thundermother, justement passée par Therion de 2010 à 2018… et rejetonne de Thomas Vikström, lequel s’apprête en cette fin d’après-midi du deuxième dimanche de Carême à délivrer un récital de toute beauté en cette enceinte du boulevard de Clichy. Rien ne décline puisqu’il n’y a pas eu de soleil ce jour durant. Il est fort sympathique pour un Parisien de se rendre au septentrion de sa ville assister à un divertissement dominical. À l’angle de la rue Lepic, naguère popularisée par Bruno Carette, sur le boulevard et sous l’ondée, la sage et silencieuse file indienne s’étale encore plus loin qu’au niveau du théâtre des Deux Ânes. Therion affiche complet. Tape amicale du Sieur François Blanc (Angellore, Abduction) sur mon épaule. Un connaisseur.

Baignée de douces lueurs bleues, la proprette salle s’emplit assez promptement, tandis qu’un ancien Nightwish est diffusé en fond sonore. À dix-neuf heures vingt-cinq, les néons font place à l’obscurité, à une nappe de synthé et quelques notes au piano avant une suite de frappes au tom basse, des accords de grosse guitare, une délicate voix féminine enfin. Intimidée. Satra débute son tour de chant. Du metal sympho à chanteuse canal historique. De solidaires pognes frappent en rythme au premier break. « Thank You! We are Satra from Finland, and it’s the First Show of this Tour » présente-t-elle, longs cheveux rouges et mini-jupe noire en skaï. Le metal sympho à chanteuse canal historique, une spécialité finlandaise. Puis le débutant quatuor enchaîne sur « Sand of Time », du nom de leur premier LP sorti… avant-hier ! Majoritairement masculins et quinquagénaires, les premiers rangs oscillent consensuellement de la caboche. Franc soutien de ceux-ci sur le troisième morceau puis applaudissements nourris. Adhésion ou compréhension vis-à-vis de la jeune chanteuse ? Toujours est-il que les convives sont ce soir de bonne composition, un bon point en tout cas à mettre au crédit du public de Therion. Au balcon à côté de moi, un aîné visiblement plus que concerné tape du pied gauche de façon martiale tout en faisant de l’air guitare de sa main droite, un plectre imaginaire égrenant le vide. Adhésion. La chanteuse (qui s’appelle Pilvi Tahkola) semble désormais ressentir toutes ces bonnes vibes, elle ne peut s’empêcher de sourire en entonnant une ritournelle metal pop à la Volturian. Chemin faisant, elle aurait perdu de son initiale timidité. Le cinématique « Shadow Edgine » tire sa source quelque part entre les premiers Nightwish et « April Rain » de Delain. Adorable. Ovation. Portée par cette clameur (peut-être intérieurement inespérée), la douce chanteuse gagne encore en assurance et présente avec félicité chaque instrumentiste. Elle se trompe toutefois en annonçant une « dernière chanson » et corrige illico : « ce sera une avant-dernière chanson… » sur laquelle le guitariste growle sans originalité. C’est le style qui veut cela. Après avoir annoncé et remercié Therion comme il se doit, Satra conclut à vingt heures moins trois minutes sur une gentille et envoûtante cavalcade symphonique. Le petit père à une encablure de moi est à donf dans son accompagnement gestuel. « Thank you! », révérence collective puis selfie à vingt heures deux. Mignonnet et rafraîchissant.

Les hommes de main démontent le matos de Satra lorsque la sono fait retentir les premières et mémorables notes de « Blackened » (de vous-savez-qui). Ce qui a pour effet de faire instantanément repartir en rythmique aérienne mon voisin de balcon dégarni qui headbangue maintenant en pleine lumière. Une imposante bâche frappée du logo de notre tête d’affiche ainsi que d’une étoile cabalistique à plein-plein de branchounettes est dressée en fond scénique. Test des micros, des samples grégoriens, de la basse, de la guitare électrique. C’est ce qu’on appelle en jargon technique une linecheck. Rien n’a encore commencé mais plusieurs centaines de regards convergent vers l’estrade. « Eye of the Beholder » dans les baffles, épais riff issu de l’album le plus clinique et cérébral de Metallica, chauffe-salle assez judicieux pour un concert de Therion. La diffusion du mythique et vertigineux solo de Kirk Hammett est toutefois stoppée net à vingt heures vingt-cinq pétantes.

Sous un crépitement de mains, les sept artistes investissent la scène à vitesse grand V, entamant pied au plancher leur standard rentre-dedans « The Blood of Kingu ». Thomas Vikström a revêtu un pardessus noir, enfilé des bottes noires et est coiffé d’une gapette steampunk de même coloris (vaguement Wehrmacht), sa voix aiguë alternant avec celles plus acidulées du duo féminin Lori Lewis / Rosalía Sairem costumées gothico-romantiques. Mon voisinou sautille à présent tandis que, en bas, la foule scande avec conviction ces mesures endiablées. Terrain conquis. Les lumières s’éteignent à la dernière note. « Paaaaaaaaaariiiiis !!! Paaaaaaaaaariiiiis !!! », interpelle un Vikström triomphal. Une clameur massive lui répond. « Nous allons avoir une longue nuit ce soir et vous jouer nos classiques. Cette chanson s’appelle “The Ruler of Tamag”. » Commencée par Christofer Johnson (pour la première fois ici puisque figurant sur « Leviathan III »), c’est l’une des compositions les plus cristallines de la trilogie hobbesienne. J’aime beaucoup les premières strophes chantées avec délicatesse par Lori Lewis. On perçoit très peu de différences avec la version studio – Therion connaît son affaire sonore. Jambes fléchies, le guitariste et leader demeure cabré sur sa Flying V bordeaux et grimace façon Rudolf Schenker. Sublime interprétation collective. Des hurlements mêlés à un tonnerre d’applaudissements viennent saluer les premières notes de « Birth of Venus Illegitima » avec chœurs grégoriens. Le rendu de la batterie de Sami Kristian Karppinen s’avère très nettement supérieur à celui de son homologue (et compatriote) de Satra tout à l’heure. En fosse et partout, les convaincus frappent des mimines en cadence. Les lumières se rallument par intermittence, s’abattant gentiment sur les abords de scène.

Jambes toujours mi-pliées, Christofer balaie de son manche le vide de gauche à droite (oui, comme le guitariste de Scorpions…). Enchaînement sur le quatrième morceau, « Tuonela » (figurant sur Leviathan I). Vikström s’avance afin de déclamer sa partition, la visière de sa mutze masquant la partie supérieure de son visage. Les gus accoudés contre l’estrade (il n’y a ni fosse photographes ni sécu) n’en loupent pas une miette, certains connaissant par cœur les paroles de cette chanson. Je pense vaguement à Europe. Autre morceau suédois de référence, mais en plus doomy : « Twilight of the Gods » (rien que le nom…) va piquer du côté de chez Candlemass (ou Black Sabbath si vous ne connaissez pas Candlemass), avec de lourds accords mêlés à des chants vénusiens. Perso, j’apprécie. Les zicos sont à fond dans leur interprétation. Lori Lewis est quasiment à genoux, comme implorant Thomas Vikström qui hurle simultanément au Valhalla. Ne pas oublier que le père de celui-ci, Sven Erik Herman Vikström (1927-2002), fut un chanteur d’opéra et un acteur très populaire au pays de la social-démocratie. C’est une vision fortement déconseillée aux fans de Pavement. Au tour de Lori de prendre la parole ; en parfaite professionnelle du divertissement, l’Américaine évoque Les fleurs du mal (non l’ouvrage de Baudelaire, mais leur album de reprises exclusivement françaises des années soixante et soixante-dix paru en 2012). S’ensuit une pesante et lancinante appropriation de « Mon amour, mon ami » de l’énigmatique Marie Laforêt (une esthète elle aussi, par ailleurs férue de symbolisme) d’abord chantée par la brune Rosalía. La Machine du Moulin Rouge est statique, captive. « Mon amour, mon ami, quand je chante c’est pour toi. » Les dernières mesures de cette ritournelle intemporelle donnent lieu à une remarquable communion entre les saltimbanques multinationaux et leur public. « Merci beaucooooooooooup Paris. »

« Nous allons maintenant vous jouer le titre éponyme de notre album devenu triple : il s’intitule… » « LEVIATHAAAAAAAAAAN !!! », réagit l’assistance comme un seul homme. Carton plein itou, nul besoin de vous l’écrire. Derrière le paravent gauche, le préposé aux six-cordes suit les événements tout en préparant la Flying V noire avant d’en bichonner une (guitare) sèche. Toujours rien à redire du point de vue sonique. Jet de médiators à l’ancienne par Christian Vidal, le second guitariste, Argentin chevelu aux faux airs des frères Tolis. Il commence à faire chaud. Je tombe l’écharpe (oui, j’avais craint d’attraper froid, nous sommes en février). De son côté, Thomas a tombé la casquette, l’on aperçoit désormais du khôl soulignant ses yeux bleus. Les cheveux attachés, il se tient raide, debout, le bras levé vers le ciel, ses doigts formant le signe du metal. En parlant de metal, les premières mesures de « Ginnungagap », pachydermique et intense, font une fois de plus rugir puis scander l’assistance. Lorsque les lumières se rallument, les sourires sur les visages des uns et des autres apparaissent. Tant d’interaction fait plaisir à voir et à ressentir. Ah oui, et je distingue également Tank, le fameux roadie essonnien à trois mètres de moi. Le chant sur le très Broadway et Tim Burtonien « Litany of the Fallen » (Leviathan II) aurait quelque chose d’ABBA une nuit d’Halloween. D’égale intensité à chaque pause, les bravos ne faiblissent jamais. La mélopée de la bien-nommée « The Siren of the Woods » est très belle, mise en valeur par des guitares et synthétiseurs mid-seventies. On assiste à un échange très lyrique entre Thomas et la brune Rosalía. On jurerait entendre une mouche voler tant les spectateurs font silence en cet instant précis. Dantesque. Échange qu’interrompent deux soli inspirés de Christian Vidal, le second effectué à genoux. Le final de la chanson réunit l’intégralité des acteurs, laissant bouche bée les amateurs. Thomas se penche afin de saisir galamment la main d’une spectatrice du troisième rang. Je prends congé de mon biqueton de voisin pour longer le long zinc complètement désert, les participants préférant s’enivrer de gammes classiques. Vu de la sono, la cohésion de la troupe est encore plus évidente.

Tiens, mon pote Yves : ça faisait une semaine (Lucifer) ! Certains passages du show sont selon ses mots « simplement féeriques ». Nouvelle pause. Le généreux vocaliste baragouine avec gourmandise un ou deux mots en espagnol, contrée où il réside dorénavant, avant d’annoncer « Eye of Algol ». Tiens, Franck Paul ! Lequel me propose fraternellement de descendre dans la fosse, me faisant part lui aussi sa joie d’être là (« C’est beau ! », me glisse-t-il, ému). Il y aura encore quelques restitutions live avant que ne viennent raisonner en rappel les grandioses classiques : l’orientalisant « The Rise of Sodom and Gomorrah » que fredonne Lori tout en envoyant des bisous volants (presque en larmes, une femme dans l’escalier central derrière moi en connaît les paroles par cœur) ; enfin le tant gambillant que communicatif « To Mega Therion », précédé par quelques considérations par le (faux) taiseux Christopher à propos des boulangeries parisiennes ainsi que d’une malicieuse comparaison entre fans français et allemands (sa sangle cédant brusquement à cet instant précis, il suppose un sabotage germanique) pendant que, lunettes de soleil sur le pif, le placide bassiste en profite pour se siffler une tite 16 en bouteille ; le tout avant que Thomas ne fasse chanter a cappella par des Parisien.e.s ravi.e.s « Les sucettes » (gravée également sur Les fleurs du mal en compagnie de « Poupée de cire, poupée de son » et d’« Initials B.B. ») de l’immortel auteur du « Poinçonneur des Lilas »… L’ultime solo sera effectué par Christofer, sa Flying V noire dans le dos, un pied sur la grosse caisse. Glorieux. Fin de la représentation à vingt-deux heures trente sous une marée triomphale de mains tendues. Therion salue collectivement, comme au théâtre. Offenbach eut apprécié. Tiens, Pascaline, ça va ? D’aucuns diront avec dédain que tout ceci n’était que pompier. On leur rétorquera que l’œuvre de Therion ne dépareillerait aucunement au Göteborgs konstmuseum. Retour au fade bitume de 2024. Mon regard est alors attiré par une petite plaque rectangulaire apposée à l’entrée de la bâtisse : « Établissement soutenu par le Centre National des Variétés ». De toutes les variétés.

Merci à Arnaud Dionisio pour les photos.

Merci à Angélique Merklen pour la relecture.

 

 

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