HOT on the rocks!
Interview de Qamelto (jeudi/04/04/2024)
Interview de Myrath (jeudi/07/03/2024)
Interview de abduction (mardi/19/12/2023)

Lucifer – Attic – The Night Eternal au Petit Bain le 16 février 2024

samedi/17/02/2024
477 Views

Lucifer. Vaste programme aurait dit un grand homme. D’eux j’avais apprécié cette reprise de « Dancing with Mr. D » des Stones sur « Lucifer II » en 2018, cover figurant parmi des compos aux intitulés évocateurs tels « California Son », « Dreamer », « Phoenix », ou encore « Before the Sun ». Reprise pas mal écoutée il y a quatre ans (déjà) lors du confinement. L’original de « Dancing with Mr. D » est également un des deux moments au sein de leur étendue carrière où les Stones ont fait bisou-bisou de loin à Lucifer, le véritable ; c’était sur « Goats Heads Soup » en 1973, refermant une sulfureuse parenthèse ouverte cinq ans auparavant avec « Beggars Banquet ». 1968-1973 est d’ailleurs la période artistique et musicale de prédilection du groupe Lucifer, fondé à Berlin en 2014. Un rapprochement pouvant à ce sujet être opéré sans trop de peine avec les antédiluviens Coven : musique proto-hard rock, thématiques occultistes, colifichets divers et variés, candélabres, la circonstance enfin que la chanteuse allemande Johanna Sadonis n’est pas sans rappeler sa devancière yankee Jinx Dawson (chevelure Barbarella, sourcils épilés, regard menaçant souligné de kohl, vêtements sombres, dégaine greaser…).

En cette mi-février 2024 teintée de gris, Brian Jones, Sharon Tate et Meredith Hunter ont tous trois quitté ce bas monde depuis cinquante-cinq années ; j’ai pour ma part ressorti ma veste trois-quarts en daim acquise dans un décrochez-moi-ça à Clignancourt au printemps 1992, sur laquelle est épinglé un badge Opeth déniché sur eBay ; et la péniche associative du Petit Bain amarrée (visiblement pour l’éternité) en contrebas de la bibliothèque Mittrand s’apprête gentiment à réaliser un copieux crochet temporel-culturel. Effectivement, la tournée « The Satanic Panic » fait escale ce soir du vendredi 16 dans la ville de Gong et des Charlots afin de défendre scéniquement « Lucifer V », le dernier (et cinquième en bonne logique) disque du combo germano-suédois au nom explicite (paru le 26 du mois dernier). Dix-huit heures trente-cinq, une file d’attente majoritairement masculine et vêtue de noir avance mollement sur cette passerelle qui émet un incessant et désagréable grognement métallique. Les tishs revêtus affichent tel un historique les préférences des participants : Jeff Beck, Black Sabbath, Hawkwind, Motörhead, Bathory, Coroner, Destruction, Sacred Reich, ADX, Blaze Bayley, Electric Wizard… Au rez-de-chaussée du rafiot, j’aperçois Johanna (lunettes noires) et ses boys attablés au restaurant. Au sous-sol sur l’étal de merch est commercialisé un nouveau modèle de t-shirt Lucifer : une grosse bouche warholienne pourvue de canines de vampire qui dégobille du sang avec inscrit « Satanic Panic » au-dessus… Les Stones de 1973 vous dis-je !

À dix-neuf heures moins cinq la sono brise le quasi-silence par les nappes de synthé de « Baba O’Riley » des Who puis le reste du légendaire morceau, suivi d’« Hate Street Dialogue » de Rodriguez. De la fumée est doucettement diffusée sur scène de derrière l’ampli droite. Il revient alors à The Night Eternal d’ouvrir le bal tragique. Cinq jeunes chevelus dont un bassiste moustachu torse-poil sous son cuir cintré. Un hard rock / metal millésimé fin des septante émaillé d’occultisme que n’aurait pas renié le juvénile Steve Harris, le chant du métisse Ricardo Baum, agrippé à son pied de micro comme si son existence en dépendait, étant toutefois très nettement plus doom et plaintif que celui de Di’Anno. Tout en manipulant consciencieusement sa console, la fille de la sono opine de la tête dès le premier break. Convaincue, tout comme les convives de la barge qui ovationnent les allemands à l’issue du deuxième brulot. L’épique cavalcade « Prince of Darkness » qui s’ensuit est présentée par Ricardo comme un hommage à Ozzy. « It’s our First Time in Paris Tonight, We Fell in Love with the City » nous confesse le chanteur. Des poings de connaisseurs se lèvent ici et là avant que ne soit annoncé « Elysion (Take me Over) », la cinquième ruée, vite scandée par une partie du mâle public. Les instrumentistes mobiles, soit deux Gibson (Flying V, Les Paul) et une Fender (Precision) vivent leurs notes comme aux beaux jours du rock’n’roll, le bassiste donnant des coups de menton dans le vide façon Ted Nugent 1978 (auquel il ressemble d’ailleurs physiquement). Six morceaux au total. Ovation. Très généreuse entrée en la méritante matière. Les quelques lumières orangées du Petit bain se rallument sur « Algiers » d’Afghan Wigs. Tandis que les roadies s’activent et que les gars de The Night Eternal empruntent la travée gauche de la salle afin de laisser libre champ à leurs successeurs, deux jeunes blackeuses, dont une blouson noir brodé Mercyful Fate roulé autour du bras, prennent leur mal en patience sur un ténébreux extrait du « 666 » d’Aphrodite’s Child (oui, Demis Roussos et Vangelis…) puis sur « Tales of Brave Ulysses » de Cream…

Je pige précisément le pourquoi d’une délégation BM aux abords de la scène à vingt heures moins dix lorsque vient le tour d’Attic. Des effluves d’encens réveillent mes narines, et l’on jurerait un début de show de Watain ! Bon sang, il y a des corpsepaints, un chant d’outre-tombe suraigu vitupéré par un émule de King Diamond vêtu d’une redingote en velours bordeaux, et tout le tralala !!! Nous sommes passés en même pas vingt minutes de 1978 à 1984, un type de cavalcade rythmique en succédant de toutes façons à un autre, celui-ci cette fois surplombé d’une voix de castra implorante. La péniche est tout aussi réceptive que précédemment, la chaleur ambiante monte d’un cran en dépit du glacial décorum… En parlant de froidure, je décide de m’en griller une dehors à la nuit tombée sur le Roof top du bateau ; à hauteur de la cantine j’aperçois le sosie de Ted Nugent qui se repait paisiblement d’un burger maison (vegan probablement) et se désaltère d’une petite tanche de Cristaline bien mérités. Retour au sous-sol où de minimalistes lumières baignent le sépulcral quintet ; lequel vient de publier un nouvel album intitulé « Return of the Witchfinder » ; dont le morceau éponyme (présenté pour la première fois avant-hier soir à Dijon) possède quelque chose d’un Judas Priest cru et théâtral, désespéré. La Thunderbird IV (gaucher) jalonnant avec parcimonie les haletantes parties rythmiques des guitares de quelques graves notes. Lugubres. Beaucoup de chorus véloces et féroces, ce n’est pas d’une technicité dingue mais c’est efficace. Criard. La bière ne coule guère à flot et l’assistance demeure attentive. Tiens, Nidhal Marzouk. Fin de la démonstration trve à vingt heures quarante sur les roulements du castafioresque « The Headless Horseman », que je devine être le classique de ces originaires de Gelsenkirchen. « En plus, il n’y avait pas de wah wah du tout » constate un spectateur en regagnant l’extérieur à la pause. Bien vu.

On se prépare à présent à effectuer un bond de quinze ans en arrière de 1984 au sein de la chronologie hard rock. « Sleeping for Years » d’Atomic Rooster est d’ailleurs diffusé dans l’enceinte. Tandis qu’est dressé en arrière de la scène une bâche frappée du logo (blanc) de Lucifer, mon vieux briscard de Yves patiente sagement côté travée droite, absorbé tout qu’il est par la lecture du polar médiéval « Requiem » de Soulié. « C’était une copie de Mercyful Fate le groupe précédent, mais une bonne copie » considère-t-il. Affirmatif. Les lumières prennent congé pour la troisième et ultime fois en ces vespérales réjouissances, cédant place à l’obscurité. Les baffles crachent à volume élevé la version studio de « Ghosts » par les hôtes de cette nuitée. Reprise illico aux instruments live. Les quatre musiciens prennent vite fait leurs places respectives. Jupe et collants noirs et col romain, Johanna Sadonis déboule au centre de l’estrade cheveux blonds au vent pile face au ventilateur. La basse vrombit de très jouissives lignes. Ovation. Puis démarre le riff gras de « Midnight Phantom », les convives remuent du chef instantanément à rythme lent. Pas, où peu de smartphones n’émergent de cette connaisseuse foule. Satisfaction palpable à la fin de ce deuxième rock. « Bonsoir Paris, nous sommes Lucifer… Ça va ? » questionne la frontwoman dans la pénombre ; tandis qu’à cinquante centimètres à ma gauche dans l’escalier central j’entends distinctement Nidhal son mastoc appareil photo en paluches pester « La galère !!! »… Les artistes ténébrophiles, l’éternel cauchemar des photographes de concert. La troisième chanson (oui : « chanson ») « At the Mortuary » me donne l’occasion de constater que le boogie de Lucifer est tel le diable : séduisant. Les suédois en tout cas savent y faire en termes de mélodies accrocheuses. Les deux guitaristes (Martin Nordin et Linus Björklund) assurent de vaporeux chœurs, soutenant vocalement de part et d’autre leur teutonique patronne. Grosses guitares et chanteuse astrale impeccables Cette dernière démonstrative sans être racoleuse sur l’éploré « Leather Demon ». Contrairement au public le son est rond. Punchy.

« Il y a au-dessus de nous une boule disco qui ressemble à un pénis… C’est normal ou c’est un truc français !?! Je sais que nous sommes ici dans la ville de l’amour… ». Puis la berlinoise de lancer le torride blues « The Dead Don’t Speak ». Qu’elle finit à genoux les deux mains coulissant sur son pied de micro façon Tina Turner. Le metal originel n’est toutefois guère en reste avec « Wild Hearses » qui semble tout droit échappé du premier Black Sabbath, guidé par quelques pachydermiques notes de basse passées à la pédale wah wah (ça a dû, je l’espère, contenter le type de tout à l’heure). Quelle voix ! Magnifique ! Le contraste entre la lourdeur bitumée des instruments et cette voix solaire presque angélique est impressionnant, rarissime. Black Sab’ 1970 derechef sur « Slow Dance in a Crypt » le titre suivant : de lents arpèges ont cette fois remplacé la ligne à la quatre-cordes. Solo vipérin et brûlant à la Tony Iommi. On arrive à l’heure de show, et autre constat : la plupart des morceaux ont tous ou presque été enchaînés les uns aux autres. Très peu de blabla. Pas plus d’effets sur les deux grattes, pas de démonstratif dans le fond ni dans la forme, un rendu dans la plus stricte observance rock’n’roll. Stoogien en moins gonzo, ou en plus propre c’est selon. Vingt-et-une plombes cinquante-quatre et l’heure du premier rappel a (déjà) sonné. Sur lumières vertes un roulement de batterie (par Monsieur Sadonis, également guitariste-chanteur des Hellacopters) introduit l’endiablé mais clairement pop « Maculate Heart » (issu du dernier album, et joué pour la première fois live à Göteborg il y a seize jours). Johanna réinvestit les planches tambourin en main. Entraînant, même si l’on regrette en définitive (peut-être) l’absence d’un ou deux tubes susceptibles de faire connaître Lucifer en dehors de simples cénacles d’initiés. Mon pote Yves remue quant à lui en toute logique de la caboche (on ne disait pas encore « Headbanger » en 1969). C’est fini. « Holy Shit ! Merde alors ! Thanks for Comin’ Tonite ! » s’exclame faussement surprise la malicieuse vedette. Puis celle-ci déblatère goguenarde une facétie à propos du Père Lachaise, du genre : « Allez-y pour étreindre votre amoureuse ! ». Message bien reçu. Les lumières se ravivent définitivement à vingt-deux heures six. La présence d’affichettes militantes dans l’escalier nous rappelle que nous sommes temporellement plus proches du 7 octobre 2023 que du 6 octobre 1973. L’on salue sur le pont de la péniche parisienne les deux guitaristes de The Night Eternal lesquels devisent et plaisantent avec des spectatrices. Une heure pile de jeu au crédit de Lucifer, c’était peut-être un tantinet court. En plus ils n’ont même pas repris « Dancing with Mr. D ». Quoi qu’il en soit, et à une époque où d’aucuns s’interrogent (très légitimement et peut-être en désespoir de cause) sur un futur du rock qui puisse être autre chose que son passé, je le clame : merci à Lucifer ainsi qu’à ses deux guests pour ce triple voyage dans le temps ! L’Histronef de Jacques Martin en 1980 c’était de la gnognotte à côté de tout ça.

 

Leave A Comment