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Chronique de Chris Cornell : Clair-obscur

mercredi/24/01/2024
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Auteur : Manuel Perreux

Titre : Chris Cornell : Clair-obscur

Éditeur : Camion Blanc

Sortie le : 24 mars 2022

Note : 16/20

Si la carence en livres rédigés sur Chris Cornell constitue une « erreur judiciaire musicale » (selon les termes pénalistes employés par Manuel Perreux en page 7 de son Chris Cornell : Clair-obscur, image empruntée à son homologue, l’unique biographe américain Corbin Reiff, qui a signé Total F*ckin Godhead en 2020), affirmer quatre lignes plus bas que le compositeur-interprète américain est une « icône oubliée du rock » relève d’une plaidoirie excessive. C’est un prolégomène augurant d’un développement passionné. Avant d’être lues, la simple vue de ces 447 pages publiées chez Camion Blanc en mars 2022 (une éternité putréfiante s’il s’agissait d’un torche-cul programmatique ou autobiographique de femme ou d’homme politique, de tout individu provisoirement in, et autres faussaires médiatiques) m’a amené à effectuer une rétrospective. 6 juin 1992 : première partie des Guns à Vincennes et assez peu de souvenirs finalement, suffisamment néanmoins pour citer quelques mois plus tard Sub Pop et Soundgarden dans un exposé de Terminale portant sur la ville de Seattle. Hiver 1994 : l’écoute de l’austère et brûlant Superunknown, puis le port du T-shirt aux motifs phosphorescents afin d’afficher sa couleur à la fac’. 27 juin 1996 : Down on the Upside offert pour mes vingt-et-un ans, pleine conscience d’une œuvre captivante et résumant comme peu d’autres cet été-là une jeunesse et une époque ab initio furtives. 14 janvier 2003 : Audioslave à l’Olympia et pas de souvenir spécifique, si ce n’est celui d’un Cornell courbé, errant sur scène, comme poursuivant de façon concentrique sa propre ombre au sol. Juin 2014 : une boucle (sans alors le savoir) est bouclée par l’unique passage de Soundgarden au Hellfest, dix morceaux (1).

À l’instar de Manuel Perreux qui écrit en page 8 que la fin de Chris Cornell n’était « pas totalement imprévisible » (contrairement à nombre de ses prestations scéniques de jeunesse, relatées en pp. 163-165), je n’ai guère été sidéré à l’annonce de son suicide le 18 mai 2017… Cet épais ouvrage à la tonalité exigeante et sincère, à l’exposition plus thématique qu’historique, m’a aidé à combler les vides entre ces six dates et à en savoir davantage sur une des plus belles voix (« Une voix sans commune mesure » est d’ailleurs le sous-titre du cinquième chapitre) de cette grande histoire du rock, plus derrière nous désormais que devant. Promesses tenues. La narration est toute en paragraphes courts, parfois une phrase sur une ligne et demi. L’auteur scinde son propos lucide (empreint de théorie musicale et agrémenté de l’étude des paroles de l’artiste) en une vingtaine de chapitres ordonnés selon son bon vouloir, toute chronologie jetée aux orties. Le premier retrace les débuts de Chris Cornell à Seattle, puis la naissance au mitan des années 80 d’une formation avant-gardiste au sein d’une scène (initialement et géographiquement) retirée.

Dans la foulée, le lecteur vivra par procuration la collocation (ainsi que l’amitié) propice à l’émulation avec le feu-follet Andrew Wood ; l’épuisement du fondateur et bassiste inventif Hiro Yamamoto (rendant finalement son tablier après un concert organisé en 1989 par le Parti communiste italien…) ; le point de non-retour atteint entre les quatre « boudeurs sincères » de Soundgarden à Honolulu en février 1997 ; Ben Shepherd laissé sur le carreau embrassant le métier de charpentier ; et la propale inattendue faite par les trois instrumentistes de Rage Against the Machine à l’orée de la décennie 2000 – le narrateur prenant ici la défense d’Audioslave. Le dernier chapitre (« Maestro sur demi, idem en studio ») achèvera le propos sur les talents autodidactes de producteur de l’idole. Cette somme nappée d’une réflexion constante et clairvoyante sur la psychologie du regretté Seattlien (le pourquoi de sa coupe de cheveux début 1994 par exemple) ainsi que de ses trois principaux partenaires de création et d’action… et de l’entité Soundgarden elle-même (s’étendant entre autres sur l’inexplicable séparation du printemps 1997). Une approche organique, dirait-on. Cet exposé (souvent long mais complet) et ses digressions multiples (peut-être un peu trop) sont par ailleurs séquencés d’analyses clipographiques (« Loud Love », « Jesus Christ Pose », « Black Hole Sun »).

Manuel Perreux est collé-serré à son sujet, et parfaitement apte à se mettre à la place des fidèles en leur époque (« Chaque album a sans doute perturbé les fans des opus précédents car, même en comprenant leur parcours et leurs influences, on ne sait jamais quelle sera leur approche »). Cet opuscule fusionnel est si original que l’on peut écrire qu’il est à l’image de Cornell et de son « jardin du son » : un authentique « laboratoire ». Honnête et passionné, laudatif et discursif (certes parfois à l’excès), réaliste mais poétique, nous avons affaire à un fin connaisseur de la musique rock et de son histoire, le parcours et la place de Chris Cornell et de Soundgarden étant systématiquement contextualisés. Dans cette veine, une dissertation en continu sur l’ADN punk du groupe tient lieu de fil rouge (avec un parallèle constant et intéressant avec les Beatles). De même, la comparaison récurrente avec le célèbre dirigeable (maintes et maintes fois dressée par les schmols du monde libre depuis l’émergence de Soundgarden) se voit décortiquée, notamment à partir des appétences pagiennes de Cornell. En parlant de schmols, j’ai souvenance qu’un journaliste de chez nous avait un jour affirmé dans une revue de référence qu’il était impossible de vieillir en compagnie d’un groupe comme Soundgarden : Manuel Perreux démontre avec une maestria enthousiaste le contraire de cette prédiction dédaigneuse et inopérante.

 

(1)

Ze Hellfest of 2014 : Soundgarden

(2)

Un amical merci à la camarade Angélique Merklen pour la relecture

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