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Anti-Flag

Interview avec Chris Barker d’Anti-Flag

dimanche/26/01/2020
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Anti-Flag est un quatuor Américain de Punk Rock mélodique, aux paroles presque systématiquement politisées. Ils sortent leur douzième album ce 17 janvier 2020 : intitulé « 20/20 Vision », et fort bien produit, il a cette fois Donald Trump dans le rôle du pigeon d’argile. Art’n’Roll a rencontré Chris Barker, alias « Chris#2 », lors du passage du groupe à Paris un soir de décembre, à l’Hôtel Alba Opera dans le neuvième arrondissement, et sous les auspices de Replica Promotion, afin de placer le curseur sur le parcours personnel du chanteur-bassiste. Orientation instantanément payante : notre homme se révèle illico presto authentique, humain et attachant.

Chris Barker : Salut mec !!! Viens-là… entre dans… ma pièce confortable !

Art’N’Roll : Salut ! Tu sais qu’un légendaire trompettiste Américain a vécu dans cet hôtel ?

CB : Ah oui !?! Miles… Davis ?!?

ANR : Non… Dans les années 1930… Louis Armstrong…

CB : A oui ?!? (rires)

ANR : Il est déjà tard… Es-tu fatigué de ta journée de promo ?

CB : Non ! Nous sommes bien ici. Si nous avions passé la journée dans le trafic parisien, je serais bien plus fatigué…

ANR : Tu es sorti de l’hôtel ? Tu as vu quoi d’intéressant ?

CB : Oui. Très agréable. Nous sommes sortis au moment du déjeuner, dans le quartier. Je pourrais volontiers jouer les bons touristes et aller visiter le Louvre, mais nous n’avons que très peu de temps pour nous (rires).

ANR : Mon opinion, sans déprécier la valeur des monuments parisiens : vous n’avez qu’à rester dans le quartier, vous attabler à une pizzeria dans la rue d’à-côté, et regarder les choses et les gens… Visiter Baltimore peut s’avérer tout aussi enrichissant que visiter Los Angeles…

CB : Oui, je suis d’accord avec toi. Tu sais, ce n’est pas la première fois que je viens à Paris, donc je n’éprouve pas ce besoin de tourisme (rires) La première fois que l’on se rend à Moscou, par exemple, on va forcément aller voir ce putain de Kremlin (rires).

ANR : Un conseil : évitez les endroits à touristes… Les Champs-Elysées sont blindés de qataris, et il n’y a aucun parisien sur la Tour Eiffel… 

CB : Oui, oui, j’en suis convaincu. J’ai vu que dans la rue d’en bas (NDA : Cadet) il y a même un putain de McDonald’s… (rires)

ANR : Restez dans les petites rues du neuvième…

CB : Ce que l’on a fait. Tu sais, j’ai appris un truc tout bête aujourd’hui en observant les passants (NDA : Entretien réalisé le 3 décembre 2019) c’est qu’en France, les racines des arbres de Noël sont coupées et remplacées par une croix en bois : aux Etats-Unis, ils sont vendus avec leurs racines dans des sacs plastiques (rires)

ANR : Voilà. C’est une différence culturelle. Et tu as appris un truc…

CB : (rires)

ANR : Votre album sort le 17 janvier 2020, il est intitulé « 20/20 Vision », il s’agit d’un disque de Punk Rock mélodique de bonne facture, à la production impeccable, avec des textes ouvertement militants, souvent centrés sur votre actuel Président. Dans cette atmosphère de début d’entretien pour le moins chaleureuse, je te propose un interview à dominante personnelle, ce qui permettra à nos lecteurs et (peut-être) à tes fans, d’en savoir plus sur toi… Tu es partant ?

CB : OUAIS !

ANR : Tu es de Pittsburgh, c’est cela ? Ce n’est pas la ville la plus réputée des USA, on connait l’équipe des Steelers et les usines… Peux-tu nous la décrire ?

CB : C’est amusant, parce que nous avons tourné à travers le Monde, et je ne quitterai jamais cette ville. C’est là d’où je viens. Et je ne suis pas une personne chauvine, je n’adhère à aucun type de patriotisme ou de nationalisme, mais je suis heureux de venir de Pittsburgh et de nulle part ailleurs. J’aime son multiculturalisme, ces populations venues à cause de ses industries passées, dans les années soixante et soixante-dix : ma ville est un creuset de cultures…

ANR : D’où viennent les populations ?

CB : Ma famille est originaire d’Italie, celle de Justin (NDA : Sane, le chanteur-guitariste) provient d’Irlande. Il y a aussi une importante communauté Juive…

ANR : … de Pologne, je suppose…

CB : Oui. Après un certain déclin des industries lourdes, l’économie de Pittsburgh s’est recentrée sur les services et les technologies de pointe, ce qui a attiré de nouveaux arrivants en provenance d’Europe de l’Est, ce qui a encore une fois changé l’atmosphère de notre ville. Tu n’as qu’à sortir dehors et observer la rue afin de constater à tel point son ambiance est fantastique (rires) J’ajoute que la campagne et la nature sont à portée de la main, la ville elle-même n’étant pas très étendue. A New-York, les gens sont perpétuellement en mouvement, pas à Pittsburgh. Et devenir propriétaire de sa maison est facile chez nous, car l’immobilier n’est pas cher. Cela peut paraître simpliste, mais du fait du faible coût de la vie, nous avons en tant que groupe, été en mesure d’assurer nos arrières financièrement dès la fin des années 1990 et le début des années 2000, soit peu de temps après notre lancement, et de pouvoir composer sereinement sans ressentir la peur de manquer matériellement. Si nous avions vécu à New York ou à Los Angeles, le groupe aurait été étranglé sur ce point, et n’aurait probablement pas survécu.

ANR : Tu as évoqué le mot « patriotisme », il s’agit d’un thème récurrent dans vos textes, et qui n’a visiblement pas très bonne presse chez Anti-Flag… Mais tu es pourtant fier de là d’où tu viens… Selon toi, quelle serait la différence entre être fier de ses origines et être un salaud de patriote ?

CB : Le patriotisme est un outil politique, sciemment utilisé afin de diviser les gens. Aimer l’endroit d’où l’on vient, son énergie, est différent de se penser supérieur aux autres et de leur déclarer la guerre. La guerre ne s’arrêtant jamais.

ANR : Peux-tu nous décrire une journée, un jour comme les autres, dans ta vie de gamin ?

CB : C’est intéressant, j’y repense parfois, parce que la décrire va t’expliquer le pourquoi du caractère politique des chansons d’Anti-Flag. C’est-à-dire : voir ma famille souffrir du manque de moyens, suite à la faillite de Pittsburgh au début des années quatre-vingt. Je pense à ma Mère qui n’arrivait pas à boucler les fins de mois et encore moins à mettre de l’argent de côté, celle-ci étant une « Mère-célibataire ». Ou à mon Oncle qui travaillait dans l’industrie, et qui a perdu son emploi vers 1986, je crois. Nous ne vivions pas mais survivions. Dans ce climat délétère, écouter une cassette de Bad Religion ou des Dead Kennedys donnait un sens à mes frustrations. Je les considérais comme plus intelligents que moi. Ils mettaient des mots sur mes sentiments. Je me sentais connecté à ces groupes…

ANR : Je comprends…

CB : … mon grand-Frère revendait de la drogue, et… toujours… nous étions… dans un état d’alerte permanent, notamment parce que la Police locale cherchait à établir des preuves contre lui et à le coincer. Je me souviens d’une fois, je n’avais que neuf ans, et un des flics m’accoste alors que j’attendais le bus, il me demande si je suis bien le Frère de Mike, je lui réponds que oui, et il m’assène : « On va l’avoir ! ». Puis, de retour chez moi, j’ai écouté « Fuck tha Police », le rap de NWA qui venait de sortir (NDA : août 1988) Je me suis dit : « C’est parfaitement ce que je que je pense » (rires) Je n’étais encore qu’un enfant, j’ai entendu le mot « Fuck », j’ai entendu le mot « Police », je ne comprenais rien aux choses des adultes et encore moins à la politique, mais je me suis parfaitement identifié à la lutte telle que décrite dans ce Rap. C’était motivant, c’était comme une thérapie à ma vie.

ANR : NWA est un groupe de Rap noir, provenant d’un Ghetto de la Côte Ouest des Etats-Unis, de Compton plus précisément, toi, tu étais un blanc pauvre de la Côte Est, qui vivait dans un pavillon…

CB : Nous étions de la classe moyenne, en fait.

ANR : … cette différence est effacée par l’évidence : tu étais mentalement le même qu’eux…

CB : Ouais. Tu sais, lorsque tu cherches à mettre des mots sur tes sentiments, peu importe qui les prononce.

ANR : Tu lisais quand tu étais enfant ?

CB : NON, et ce n’est toujours pas le cas. Je préfère regarder des documentaires. Ma Mère était alors trop occupée pour pouvoir apporter une attention à ces choses-là. J’ai fait ma propre éducation dans la rue, entre le Skate et le Punk Rock, ce qui ne pouvait pas se faire autrement, le système éducatif Américain a échoué. Avec le recul, mes carences ne sont pas le fruit d’un manque de curiosité de ma part. Mon éducation s’est faite d’une autre façon.

ANR : Tu rejoins ensuite Anti-Flag : qui a trouvé le nom du groupe ?

CB : Justin. Il était très jeune lorsqu’il a fondé le groupe, il avait alors quatorze ou quinze ans. Justin possède un parcours familial assez différent du mien, ses parents sont des personnes intéressantes : ce sont eux qui ont fondé le premier restaurant végétarien de Pittsburgh… Ce sont des gauchistes, qui ont été partie prenante du mouvement contre la première guerre du Golfe, et également contre celle du Viêt-Nam, ce qui a convaincu Justin de créer un groupe « contre la guerre » : le nom Anti-Flag vient de là, ainsi que de sa passion pour The Exploited.

ANR : Quelle serait la principale différence entre Justin et toi ?

CB : La différence d’âge, il est plus vieux que moi. Quand j’ai rejoint Anti-Flag, il avait déjà expérimenté tout un tas de trucs dont je ne soupçonnais pas l’existence. Spécialement dans le cadre de la musique Punk. Anti-Flag était déjà réputé dans la région de Pittsburgh lorsque je suis rentré dans le groupe. C’était un gros coup que je devais assurer à tout prix…

ANR : …tu as été embauché sur quel fondement ?

CB : … le fondement était simple : celui de ne rien lâcher (rires) Ils en avaient un peu marre, car quatre ou cinq bassistes m’avaient précédé, et ils cherchaient donc quelqu’un de motivé et d’énergique. Une fois dans le groupe, j’ai tout donné afin de travailler et de m’améliorer…

ANR : Quelle a été la réaction de ta Mère face à cet investissement hasardeux (au départ) ?

CB : Elle a trouvé satisfaisant que je m’investisse dans un projet, sans préjuger de la nature de ce projet. Tu sais… c’est un profond… rêve… d’immigrée aux Etats-Unis… Nous avons d’abord eu une conversation tous les deux, elle a compris qu’entrer dans un groupe déjà constitué était comme une opportunité pour moi… Aujourd’hui, cela fait plus de vingt ans que je suis dans Anti-Flag, et elle comprend d’autant mieux la teneur du projet (rires).

ANR : L’agent est arrivé à quel moment ?

CB : Comme le coût de la vie est faible à Pittsburgh, et que le public est gorgé d’affection, le peu d’argent que nous avons gagné au départ a suffi à subvenir à mes besoins. Et c’est… toujours… facile… aujourd’hui… Ma Mère a compris que lorsqu’on aime vraiment faire quelque chose dans la vie, on le fait aisément, et le bonheur arrive. Cette compréhension de cela, beaucoup de personnes ne l’auront jamais. Ma Mère est venue assister à beaucoup de nos concerts, et elle a compris que notre musique rendait service à des gens… Et… elle m’envoie toujours de l’argent pour mon anniversaire (Rires).

ANR : Votre Fanbase est à Pittsburgh…

CB : OUAIS.

ANR : Il y a-t-il d’autres groupes qui proviennent de Pittsburgh ? Êtes-vous les seuls ?

CB : Quelques-uns, et surtout dans le domaine du Punk… Je peux te citer Rusted Root, ils chantent la chanson « Send me on my Way » (Il chante) un tube dans les années 1990… Il y a aussi Aus Rotten, qui ont démarré à la même époque que nous… Dans le monde du metal, il y a actuellement Code Orange (NDA : première partie de Gojira en 1997)

ANR : Corrige-moi si j’exagère, mais l’image voire la carrière d’Anti-Flag sont intimement liées à la critique des années Bush et de sa personne ?

CB : Dans le sens où cela a représenté huit ans dans la vie du groupe. Et… fâcheusement… la période correspondant à la mandature de Barack Obama a été moins fructueuse pour nous : nous avons réalisé trois albums durant ces années, qui ont moins parlé au public. C’est dommage, car la politique menée par l’Establishment Démocrate n’a pas non plus constitué une réussite, loin de là. Leurs errances économiques et sociales ont mené tout droit vers le succès des mouvements populistes, ils n’ont pas été en mesure de protéger les gens modestes des méfaits de la globalisation. Maintenant ces derniers s’en prennent à des têtes de turcs, qui n’ont rien à voir avec leurs problèmes, tels les réfugiés…

ANR : Hillary Clinton était en 2016 la candidate de l’Establishment…

CB : Exactement.

ANR : Elle était soutenue par la Bourgeoisie de la Côte Est ainsi que par les People, Miley Cyrus (par exemple) a fait la Guignol pour son compte à la télé et sur les réseaux sociaux : l’irruption de Donald Trump puis son élection ne se sont pas faites par hasard, par la volonté du Saint-Esprit. Il y avait de la part du peuple un vrai rejet de la gauche US…

CB : J’ai eu beaucoup de discussions sur ce point-là. Même si je parle souvent de politique, j’ai néanmoins acquis la certitude que les présidents, les premiers ministres et le Pape ne vont pas me sauver.

ANR : Moi-aussi.

CB : Pour répondre à ta question, il est évident que la carrière et l’image du groupe sont en lien avec les années Bush. C’est à cette époque et grâce à des textes le critiquant ouvertement que nous sommes devenus populaires dans l’intégralité des USA, puis à l’étranger. Avant le mandat de George W. Bush, nous étions « Pittsburghcentrés » (Rires) Nous avons effectivement bénéficié des retombées du mouvement mondial de protestation contre lui et la guerre en Irak de 2003.

ANR : Bon, finalement, nous aurons quand-même parlé de politique et de Donald Trump… Autre question, du coup, dans cette veine : tu te déclares antimilitariste. A l’heure où nous conversons, il y a une crise humanitaire d’ampleur au Rojava, au Nord-est de la Syrie…

CB : Oui.

ANR : … les Kurdes et les Yézidis sont actuellement sous la menace d’un génocide à perpétrer par l’armée Turque et leurs supplétifs, pour l’essentiel des anciens de DAECH, et ce, alors que l’armée Américaine est en train d’abandonner le territoire. As-tu conscience que le maintien de, ne serait-ce que moins de cinq-cents GI dans cette zone, et sans que ceux-ci n’aient à tirer un seul coup de canon, peut sauver la totalité d’une population…

CB : Oui.

ANR : … n’as-tu donc pas le sentiment que l’armée Américaine peut, parfois, être importante dans la protection de vies humaines ?

CB : Oui. L’idée est que, malheureusement, il ne peut y avoir d’approche globale du phénomène guerrier, et en Syrie en particulier. En février dernier, à l’Eglise de St. Stephen à Washington DC, et en compagnie d’autres groupes Punk comme Homosuperior, nous avons donné un concert de soutien, dont les bénéfices ont été reversés aux YPG / YPJ ainsi qu’aux anarchistes Kurdes qui luttent contre le fascisme islamique. Il est certain que le retrait des troupes Américaines de cette zone n’est qu’une énième propagande de Donald Trump. Mon point de vue… n’est pas… de dire qu’il faut en finir avec l’armement, comme cela brutalement. Je préfère que la Diplomatie soit utilisée tant que faire se peut. Je pense que… cette partie du Monde est irrémédiablement et tragiquement impactée par la Realpolitik menée par les Etats-Unis depuis les années 1980, notamment afin de préempter ses ressources naturelles. Et je crains que les Etats-Unis seuls ne soient en mesure de résoudre le problème de cette région, problème qu’ils ont largement contribué à créer, surtout si l’administration Trump est au pouvoir… Travailler main dans la main avec l’Arabie Saoudite est immoral… Continuer à soutenir l’économie par l’industrie militaire est immoral… La question est désormais : comment peut-on réinjecter de la moralité dans la situation actuelle ? C’est…

ANR : … le problème !

CB : (Rires francs)

ANR : OK. Je vois qu’on a dépassé le temps accordé !!! Je te remercie de cet entretien, et te dis à bientôt, ou plutôt au samedi 20 juin 2020 sur la Warzone, puisqu’Anti-Flag est à l’affiche du Hellfest 2020 !!!

CB : Merci mec !!!

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