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Interview avec Dany Roberge et Jean-Philippe Lagacé de Get the Shot

jeudi/29/08/2019
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Le groupe de Punk Hardcore canadien Get the Shot a mis le feu au Motocultor 2019. Alors qu’ils s’apprêtent à rentrer en studio pour enregistrer le successeur de Infinite Punishment,  Dany Roberge et Jean-Philippe Lagacé ont pris le temps de parler du climat social au Québec et dans le monde avec Art N Roll.

 

ANR : Merci pour ce concert ébouriffant avec une fin explosive où tout le public était avec vous et participait.

Jean-Philippe Lagacé (chant) : C’est ce qu’il faut. Un vrai concert de Hardcore c’est un concert où le public se mobilise. Cette espère de distance factice entre les artistes et le public, c’est quelque chose qui m’a toujours répugné.

Dany Roberge (basse) : On adore jouer en France. On a commencé à sillonner la France en 2013, notre premier concert était à la Roche-sur-Yon dans une toute petite salle. On s’est fait des amis qui sont toujours avec nous et ça fait chaud au cœur.

ANR : Vous arrivez le dernier jour en début de journée. Hier il a plu, maintenant le festival est couvert de boue, mais le public est venu en masse !

Jean-Philippe : On a remarqué (rires)

 

ANR : Le fait que vous soyez Québécois aide peut-être ?

Jean-Philippe : Je pense qu’il y a une proximité culturelle. La France a été le premier bastion de résistance pour Get the Shot. C’est vraiment ici que ça a commencé avant de s’étendre sur le reste de l’Europe. Ce n’est pas pour rien qu’on dit que la France c’est notre première maison. On se sent chez nous.

Dany : Le rayonnement que ça nous a permis d’avoir en Allemagne et sur l’Europe de l’Ouest nous rend éternellement reconnaissants. D’ailleurs, et c’est un scoop, on est en train de préparer une tournée focalisée sur la France.

 

ANR : En passant dans les petites villes ?

Jean-Philippe : Oui, comme à l’époque !

 

ANR : Ça vous plait de revenir à des petites salles ? Le Hardcore c’est aussi ça, monter sur un ring et aller chercher chaque personne présente dans une salle, faire en sorte que tout le monde soit impliqué dans le concert.

Jean-Philippe : Exactement. C’est cool les festivals parce que tu touches rapidement beaucoup de monde, mais la proximité, le lien, se créent vraiment dans les petites salles.

Dany : Notre message, sans être politique, est quand même un message d’unité. Je crois que dans les petites salles c’est là que les actes rejoignent les paroles.

 

ANR : J’ai l’impression qu’en tant que français on a cette image du Canada, particulièrement du Québec, où les gens sont plus solidaires, plus fraternels. C’est aussi l’image que « vend » le pays. Un endroit paisible et sans problèmes. Avec cette perception, c’est un peu troublant d’avoir des personnes de ce pays qui viennent nous balancer un Hardcore un peu énervé.

Jean-Philippe : Je vais t’avouer quelque chose, si tu m’avais dit ça il y a 2 ans je t’aurais dit que c’était aussi ma vision du Québec. Mais dans le contexte socio politique actuel je ne reconnais plus mon pays. Je n’aurais jamais pensé que la bêtise puisse à ce point prendre le dessus. Le Québec n’est pas une exception, il y a du racisme, du sexisme, de la xénophobie. Le vieux fond de conservatisme moral est bien là, il se répand avec son radicalisme à l’échelle planétaire. Il y a des régions que l’on pensait étanches à ce genre de préjugés, mais elles ne le sont pas. Le Québec que j’aimais à l’époque, je ne le retrouve plus. J’avais l’impression que le Québec était une terre d’accueil, un endroit de tolérance et de solidarité, mais avec le discours ambiant j’ai beaucoup de difficultés à croire que nous sommes encore une terre d’accueil, plus que la France par exemple. Ça me fait penser qu’il y a des combats que l’on croyait gagnés alors qu’ils ne le sont plus.

 

ANR : Lorsque l’on a vu une fusillade raciste se dérouler au Québec, ce qui a le plus choqué c’était que l’idée qu’un tel évènement se produise chez vous alors que ça paraissait impossible.

Jean-Philippe : Oui je suis d’accord. Pourtant les gens s’acharnent à faire croire qu’il n’y a pas de racisme ou d’homophobie. Mais ça existe et ça a des répercussions concrètes sur des personnes réelles. Ce qui devient dangereux c’est la désinformation autour de ces sujets. De plus en plus on vit dans un monde où les faits alternatifs commencent à prendre le dessus sur les faits objectifs. C’est un combat de tout instant. Je pense que les grandes cultures comme les nôtres ont le devoir et la responsabilité de rectifier le tir. Mais aussi de créer des espaces sécuritaires pour les personnes qui sont ostracisées. Si nos milieux deviennent simplement un miroir de la société dominante ça ne veut plus rien dire du tout. J’aimerais ne pas avoir à le réitérer de spectacle en spectacle, mais il faut savoir pourquoi on se bat.

 

ANR : A la fin du concert tu as rappelé que tout le monde avait sa place sur la scène Metal. Tu as aussi parlé d’anti-sexisme. Ça fait beaucoup de sujets que tu mets en avant ce sont tous des sujets qui te tiennent à cœur et que tu as besoin de défendre sur scène ?

Jean-Philippe : Quand j’ai commencé à graviter dans ce milieu je voyais ça comme un milieu où les gens différents pouvaient exprimer leurs différences sans craintes d’être opprimés. Peu importe ce que tu étais, le véhicule que tu avais, ton milieu socio-économique, tu pouvais trouver ta place. J’ai toujours eu une sainte horreur de ceux qui essaient de reproduire l’oppression dans des milieux qui sont faits pour que la différence puisse s’exprimer. Je ne le dis pas par militantisme. Je ne vois pas la musique comme un moyen de transformer le monde, je n’ai pas cette prétention. Je le vois comme un véhicule critique. Si ça peut éveiller les consciences tant mieux, mais ce n’est pas mon objectif premier. Réitérer les raisons de nos combats c’est pour moi quelque chose de fondamental.
C’est d’autant plus important que je trouve que les groupes ont de plus en plus tendance à vouloir chercher le politiquement correct. Ils cherchent à rallier un maximum de gens, ne pas trop déranger et c’est le discours qui en paie le prix. Si on oublie le discours et les valeurs derrière, ça devient aussi futile de que la musique commerciale.

Dany : On voit que nos concerts deviennent un microcosme de sécurité. Des gens sont venus me voir à Québec pour me dire que c’était la première fois qu’ils se sentaient à l’aise de sortir et de s’habiller comme ils le désiraient. Ils avaient une robe et voulaient s’afficher « non genré ». Ils le faisaient dans un concert de Get The Shot parce qu’ils se sentaient en sécurité. Si on a au moins gagné cette partie là, que pendant nos concerts les gens se sentent libres d’être eux-mêmes et qu’on arrive à le projeter vers l’extérieur, c’est déjà une belle victoire.

 

ANR : Le Hardcore c’est presque par définition un genre qui se veut dans l’opposition et la revendication.

Jean-Philippe : Oui mais il n’y a pas besoin d’être dans la revendication politique. Si tu fais du Hardcore c’est que d’une certaine manière tu en veux à la société dominante parce que tu ne trouves pas ta place. Ce sentiment d’étrangeté là doit se retrouver dans la musique. C’est un véhicule privilégié d’expression pour la différence et ça doit le rester.

Dany : Je pense que ça se sent quand ce n’est pas fait pour les bonnes raisons.

ANR : L’authenticité c’est effectivement essentiel. Jean-Philippe, tu es prof de philo.

Jean-Philippe : Oui c’est ma deuxième vie (rires)

 

ANR : J’aurais adoré avoir un prof de philo qui te ressemble !

Jean-Philippe : Faudrait en parler avec mes étudiants (ires)

Dany : Il est constamment en train de nous parler de la caverne (rires)

Jean-Philippe : NON, non, jamais de la vie, je suis anti platonicien à mort !

 

ANR : Tu étais plutôt Nietzsche ?

Jean-Philippe : Oui complètement. Je suis un post marxien, j’ai fait mes études là-dessus. Mais je ne vois pas ma musique comme un véhicule idéologique. Pédagogie et Hardcore c’est intéressant car tu mènes le même combat, mais sur des fronts différents. Là où le Hardcore peut piquer la curiosité intellectuelle des gens, la pédagogie va les aider à avoir les outils nécessaires pour se défendre intellectuellement.

 

ANR : Dans un cursus de philosophie il y a beaucoup de théorie imposée, ce n’est pas toujours évident d’intéresser les élèves au sujet, de les raccrocher. Pourtant toutes les valeurs inculquées à travers cette théorie sont des valeurs fondamentales, elles permettent d’exercer sa capacité de raisonner, construire un esprit critique qui est essentiel dans notre société. En étant un peu décalé, en ayant une vision un peu différente est-ce que tu arrives à les stimuler ?

Jean-Philippe : Le premier défi pour un pédagogue c’est de raccrocher une discipline comme la philosophie aux conditions réelles des gens et ne pas les laisser déconnectés. Leur parler d’un philosophe du 5ème siècle avant Jésus Christ ça ne va pas forcément les toucher. L’enjeu c’est de ramener ça à des exemples concrets. Je vis ma vie comme j’enseigne. Je ne joue pas le rôle d’un professeur, je ne m’habille pas tout propre, je vais en cours comme tu me vois là. Je leur donne des exemples de leur quotidien, c’est un défi constant mais j’essaie de rester connecté à leur culture.
J’essaie de leur montrer que c’est utile pour devenir des individus autonomes parce qu’aujourd’hui, il y a une panoplie de gens qui ne réfléchissent pas et il faut leur dire exactement quoi faire.

ANR : Est-ce que vous avez un projet d’album en cours ?

Dany : On devrait entrer à la fin de l’année en studio pour sortir un album début 2020. On prend le temps de bien faire, on veut se réinventer tout le temps et non refaire le même album. On compose plus que ce qu’il ne faut, on expérimente, on touche à d’autres musiques extrêmes pour en faire notre sauce à nous. Et puis on prépare cette grosse tournée en France.

 

ANR : Vous avez fini le processus de composition ? Le dernier album était un peu plus Metal, est-ce que vous gardez cette direction ?

Jean-Philippe : C’est sûr que ce sera encore présent, le Metal va rester. Ce sera plus pesant, plus heavy. On a une sainte horreur de faire deux fois le même album.

Dany : Ça va aussi avec nos vies qui évoluent. Il y a 10 ans on venait d’un milieu punk, la musique était plus rapide. Ensuite on a écouté du Thrash et on l’a incorporé, ensuite on est allés dans le Death Metal et là on a beaucoup tourné avec des groupes de Beat Down. Peut-être que ça ressortira dans l’album.

 

ANR : Pour finir, je trouve que s’appeler Lagacé quand on est chanteur de Hardcore c’est tout de même très bien trouvé !

Jean-Philippe : On ne me l’avait jamais dit (rires). Mais maintenant que tu me le fais remarqué c’est vrai que c’est drôle (rires)

 

 

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