« Isabelle a les yeux bleus »
« Passez un dernier jour de festival d’enfer, prenez soin de vous !!! » nous conseille le chanteur des Français Tsar, qui achèvent leur passage sur l’Altar à 11 heures 01. C’est entendu. France toujours : Gravekvlt balance son black’n’roll dans la Temple quatre minutes plus tard. C’est caverneux, terreux. Trve. Au premier « Hellfest ! », grogné par le guitariste-chanteur entre deux accords plaqués, une première flopée de doigts de metal s’élève sous la tente. Bien, ça veut dire que la populace demeure vivace. Sur leur page Facebook, le quatuor a inscrit en lettres capitales afin de définir le style qu’il pratique : « EVIL SPEED METAL PUNK ». Oui, c’est à peu près cela. Les parties de guitare me font parfois penser à celle de « La bière » des Garçons bouchers, et les plans de batterie à celui d’« Isabelle a les yeux bleus ». C’est basique, c’est rock’n’roll. Il y a de l’attitude là-dedans, un truc qui, avouons-le, manque cruellement en ce vingt-et-unième siècle entamé au quart… Lunettes noires sur le nez et short en jean, le guitariste
balance des coups de pied en avant dans le vide. Dans l’assistance, un gus est déguisé en feu Élisabeth II d’Angleterre. Un drapeau palestinien est posé sur un des amplis. Ils sont de Nantes. Bref, c’est une sorte de black metal sympa plus ou moins de gauche…. 11 heures 28 : une franche marée de doigts cornus salue ces jeunes rockeurs, lesquels sont parvenus à réveiller toute une partie du Hellfest, pourtant harassée par (au minimum) trois jours de fournaise…
Guineapig. V’la pas l’nom. C’est éminemment conceptuel comme blaze. Mais pas plus crétin que « les scarabées » ou que sais-je encore… Les transalpins gardent le sens du concept. Le trio entame sa démonstration bruitiste à 11 heures 39 sur de lourdes notes synthétiques. Le chant est au diapason. Mazette, c’est du goregrind ! L’Altar est à moitié pleine. Comme systématiquement durant cette édition (ainsi que celle de l’année dernière d’ailleurs), l’auditoire est attentif à défaut d’être véritablement immergé, passionné… Aimable contrepartie : il n’y a eu, nulle part, à ma connaissance de huée, réprobation ou bronca (Remember Linkin Park 2017?)… « Hellfest!!! We Are Guineapig From Italy, And We Are Very Happy To Be Here » affirme avec un fort accent ultramontain Alessio, le bassiste-chanteur. Le cochon d’Inde en chef demandera gestuellement un circle pit au cours du deuxième extrait de leur répertoire. Qu’il n’obtiendra guère. Tout ceci est un peu pataud. Certes, ces trois Romains-là sont plus facilement audibles que la majorité des combos du genre (notamment du point de vue du timbre vocal…) mais ce n’est clairement pas ma came. À côté de moi, une jeune métalleuse toute vêtue de sombre brode calmement, opinant de temps en temps du chef. « Merci beaucoup, à bientôt ! » à 12 heures 06. Ciao !
Un peu de deathrock à présent. Coups de charley à 12 heures 14, et la voix batcave du chanteur de The Cemetary Girlz emplit la Temple. Bizarre, mais elle me fait penser à celle d’Armand, le dadaïste chanteur-guitariste des regrettés indés de Sloy ; lequel Armand n’avait quant à lui jamais fait mystère de sa passion pour Robert Smith… Ce sont en l’occurrence des effets de voix plus que de véritables lignes de chant… En tous cas, la Temple est bien goth. Pas le public, la scène. Cette estrade est assurément, en cette édition 2025, son village gaulois de l’attitude ; le refuge le plus sûr d’une valeur d’antan en très nette déperdition… Chapeau noir vissé sur la caboche, le chanteur-guitariste égrène de lumineux arpèges qui renvoient les dizaines de spectateurs (ma jauge indique que seulement un septième, ou sixième, de la tente est remplie) tout droit dans la première partie des années 1980. Killing Joke, tout ça… Les parties de batterie, majoritairement axées sur le tom basse, ne sont pas non plus dénuées de charme. La basse est caoutchouteuse. Ma voisine a cessé de broder : elle s’est assoupie, tête posée sur l’épaule de son copain. Les lumières rouge vif qui jaillissent de la scène ne semblent aucunement la déranger. La très convenable prestation des Français prend fin à 12 heures 43.
« Coda »
Lors de la conférence de presse du Hellfest Warm-up Tour, tenue à Paris le 9 janvier dernier, la chanteuse Camille Contreras nous avait confié ressentir la « fierté d’être le porte-flambeau du Hellfest » et de pouvoir toucher un nouveau public « sous la casquette Hellfest ». Depuis, ladite tournée a contribué à faire (davantage) connaître cette (relativement) jeune formation qu’est Novelists. Celle-ci a également publié Coda, en mai : un disque de metalcore déterminé, truffé de plans malins (en dépit du fait que son intitulé était déjà pris par Led Zeppelin…) et pourvu d’une production de classe internationale… Il me fallait donc ajouter la prestation des Parisiano-Phocéens, ou Marseillo-Parisiens, à mon jeu de piste du jour. La pétillante Camille déboule en courant sur la Mainstage 2 à 12 heures 51, sur « Coda ».
Très bonne et efficace chanson, choix d’amorce des plus judicieux. Un hit. « Bonjourrrrrrr Hellfest !!! » Lunettes noires, tresses brunes et tenue estivale, la laborantine de profession partage ici et maintenant sa jubilation avec les festivaliers. Dans le public, une fan porte la même perruque rouge que celle que porte l’adorable chanteuse dans le clip. Ce groupe est populaire. « Merci beaucoup ! ». Le ciel de Clisson n’est pas, ou peu, encombré de nuages. Le guitariste Florestan Durand s’avère un très bon instrumentiste. « On est Novelists, c’est la première fois pour nous ! » crie Camille à la deuxième pause. « Je veux voir tout le monde sauter !!! »
Des flammes sortent de l’immense scène, tandis qu’une femme est en contrebas portée dans son slam par les premiers rangs. Un monsieur arborant un maillot du FC Nantes frappé du logo Hellfest se fraye pour sa part un chemin à travers la foule. 13 heures 06 : une intervention à la fois technique et bien sentie de Florestan fait de nouveau plaisir à entendre. « Hellfest, je veux voir tout le monde bouger !!! » commande la frontwoman, avant de gambiller comme une folle… À l’interlude suivant, elle remercie une nouvelle fois le festival d’avoir réalisé son rêve. À celui d’après, le pénultième, Camille effectue une dédicace à ses nouvelles copines, les Brésiliennes de Nervosa (avec lesquelles Novelists a partagé l’affiche de ce très réussi Hellfest Warm-up printanier…) En définitive, ces cinq artistes ont gagné en professionnalisme, tout comme en autorité, sans pour autant perdre leur fraîcheur juvénile. Au VIP, la truculente Marseillaise Manu Héliot me cause de ses photos foirées du concert de Bruce Springsteen au Vélodrome. Sinon, la barmaid ressemble à Eugénie Le Sommer. Je ne manque pas de lui dire, ce qui la ravit.
« Butterfly »
À 15 heures 08, sur la Temple, Unto Others attaque sa ritournelle gothique « Butterfly ». Écrite à propos d’une vénéneuse relation, me semble-t-il. Celle-ci sonne deux fois plus crue qu’en version studio. C’est très bon. Sur le deuxième morceau, le chanteur-guitariste Gabriel Franco hurle tel le loup de Tex Avery. La tessiture de l’Américain m’évoque celle du défunt Peter Steele, en moins grave quand même (il ne faut quand-même pas exagérer !). Les quatre croquemorts US sont, naturellement, vêtus de noir. C’est assez romantique, dans l’idée et la conception. Les chansons exhalent un parfum eighties rafraîchissant. En définitive, me dis-je, j’ai très bien fait de concentrer mon fest entre la Temple et l’Altar (NB : dix plus neuf concerts sous les tentes jumelles ; contre deux dans la Valley, deux dans la Warzone et dix pour ce qui concerne les deux scènes principales réunies ; à ceci s’ajoute, ne l’oublions pas, la chaussure de sport noire et blanche que je dois rendre au chanteur-guitariste de Stoned Jesus…).
Quatre Elvis habillés de blanc période Las Vegas se faufilent à travers la foule. Ça change visuellement des normies. Sinon, les harmonies vocales d’Unto Others sont appréciables. Tout comme le sont les soli de guitare. À 15 heures 40, Gabriel Franco suggère au Hellfest de grogner pour lui. Le Hellfest le fait. « Thank You So Much Hellfest We Got One More Song For You. » Il s’agit de « Dragon, Why Do You Cry? » Tout en la jouant, le ténébreux yankee présentera ses trois comparses, une autre tradition rock qui se perd…
Hellfest terre de contrastes : « Ghostbusters » (1984) par Ray Parker Jr. est diffusé à l’Altar à 15 heures 57. Une bâche représentant un étron sur lequel s’est posée une grosse mouche est dressée. Nul doute, c’est un coup fumant des Tchèques de Gutalax. Caisse claire à 16 heures 01, et premiers cris de cochon. La République tchèque est réputée pour être une grosse productrice et consommatrice de viande porcine… L’ambiance est présentement à la marrade, pas de violence sonique, physique ou vocale à vous signaler… « We Are Gutalax From Czech Republic And You Don’t Imagine How Happy We Are To Play Here Today… » Si, mon pote, un tantinet… Les quatre pétomanes en combinaisons blanches vont enchaîner leurs perles une heure durant. Le nihilisme est en pleine action. Les festivaliers apprécient, ils s’amusent… C’est régressif. Avant de grouiner « Shit Hospital », le « chanteur » Martin Matoušek projette un matelas gonflable dans la fosse… Pendant qu’un convive slamme, un drapeau tchèque est fièrement brandi. 16 heures 14 : la sono passe à fond « Celebration » de Kool & The Gang… La chanson qui suit s’appelle « Robocock »… Celle d’après s’avère être une reprise scatologique de Meshuggah par nos quatre Gustave Parking d’Europe centrale… La suivante durera une seconde… Celle d’après abordera courageusement le thème de la courante… Celle d’après, des flatulences… Celle d’après aussi… Celle qui suivra s’intitule « Shitbusters »…
« The Rooster »
« Je ne me plains pas ! Je demande seulement à être renvoyée en 1995 ! » s’exclamait Amélie Nothomb en page 26 (version Livre de poche) de son effréné dialogue dystopique Péplum. Moi de même. Patience, d’ici une poignée de minutes, ce vœu sera (virtuellement) exaucé… 21 heures 55 : le blond et mince guitariste d’Alice in Chains joue les premiers accords de « Psychotic Break » (2002). C’est lent, c’est beau. Magnifiques vocalises. Le virulent « Them Bones » (1992) d’Alice in Chains est envoyé en deuxième. Clisson est sur le postérieur. Un constat s’impose, ou plutôt se confirme : Jerry Cantrell est Alice in Chains à lui seul. Applaudissements. Le troisième morceau de la soirée est « Vilified » (2024), une compo du maître en solitaire, mais qui sonne elle-aussi furieusement Alice in Chains… Pourvue, certes, d’une approche un tout petit peu plus contemporaine… La nuit tombe sur la Valley, dont les lumières ravissent les derniers festivaliers présents, extenués, autres passants, ainsi que les connaisseurs des grandes et mémorables épopées seattlïennes… « Thank You Hellfest. » 22 heures 15 : c’est « Down In A Hole » (1992), soit le romantisme à l’état brut. Une beauté intemporelle. Certaines des plus belles compositions de la décennie 90 nous seront ce soir magistralement restituées. Les soli du seigneur metal-grunge seront, quant à eux, aussi chauds qu’une racaille en virée à la foire du trône… 22 heures 22, et c’est « Cut You In » (1998), le morceau presque chicano tiré de son premier album solo post-Alice, Boggy Depot. Surprise, ce briscard de Moland Fengkov (du media COREandCO) vient me taper dans le dos et me faire la bise, alors que j’écrivais ces dernières lignes, sagement assis sur les petits escaliers qui mènent à la combe. Respect mutuel. 22 heures 33, et survient le puissant grunge « Would » (1992) ; la bande-originale du film Singles embrase la Valley. Impeccable interprétation. Quatre minutes plus tard, retour relatif aux temps présents avec « I Want Blood » (2024) puis « Brighten » (2021). Deux autres créations personnelles hantées par l’esprit d’AIC. Mais comme écrit supra, AIC est Jerry Cantrell et Jerry Cantrell est AIC. Amen. 22 heures 46 et retentit l’immarcescible « The Rooster » (1992), l’admirable et déchirante power-ballade dédiée aux vétérans américains de la guerre du Viêt-Nam. Celle-ci inspirée par le propre père du guitariste-chanteur, surnommé « le coq ». « They Spit On Me In My Homeland », ou comment résumer le mépris crasse de ceux qui n’ont pas connu le pire. Poignant. Magie des retrouvailles, des larmes coulent sur certaines joues. Sur cette image prend fin le concert fabuleux de Jerry Cantrell, de même que ma mirifique onzième édition du Hellfest. Sinon, aucun extrait d’Alice in Chains (1995), n’a été repris ce soir…
Mes trois concerts persos dimanche 22 juin 2025 :
- Jerry Cantrell
- Novelists
- Unto Others
Mes cinq concerts persos Hellfest 2025 :
- Slomosa
- The Damned
- Epica
- Jerry Cantrell
- Abbath
Photos par Pauline Cassier.
Mercis à Angélique Merklen pour les relectures.