« Black Metal Is Krig »
Il est midi. Le ciel est sombre, à l’image de la musique de Witch Club Satan. Dans le second cas, ce n’est guère une surprise. Depuis quelques années, la tendance est au déguisement dans le black metal. Marins, popes, chevaliers, Grecs, Romains, Gaulois, et même prêtres védiques, toute une fraction du petit peuple de l’extrême réécrit à sa convenance l’histoire de l’humanité. Les trois Norvégiennes ont quant à elles opté pour ce qui ressemblerait à des tenues de bonnes sœurs… Oui, il y aurait comme un petit air de déjà-vu…. Sauf que les donzelles ont la poitrine apparente, à l’air quoi… 12 heures 14 : un sample incantatoire emplit la Temple. Les lumières se font rouge vif. Maquillé façon corpsepaint, le trio de nonnettes formé de Johanna Holt Kleive (batterie), Nikoline Spjelkavik (guitare) et Victoria Røising (basse) entre en scène au pas processionnel. Au troisième rang, un festivalier agite un petit drapeau norvégien. Un deuxième s’élève juste à côté quelques minutes plus tard. Un blastbeat et des cris de perdues impressionnent d’emblée l’assistance. « J’aime le côté dépouillé / brut » m’écrit au marqueur sur une feuille A4 Angélique (oui, on ne s’entend pas), laquelle goûte à mes côtés ce noirâtre spectacle. Dépouillée est de même la simple bâche blanche et noire dressée à l’arrière de la scène. 12 heures 20 : les trois jeunes furies assènent « Fresh Blood, Fresh Pussy », une de leurs compos emblématiques, figurant sur leur premier album paru en mars 2024 au catalogue de Lost and Found Productions. Du black à l’ancienne. Assez facile d’accès. Éloquent et simple, à l’image du nom du combo. Statique, majoritairement masculine, vêtue de bermudas, T-shirts et chapeaux pour le soleil, les badauds suivent avec attention le déroulé des événements. Amusant contraste vestimentaire entre les artistes et le public. Plus tard dans la journée, Pauline me confiera avec une gourmandise non feinte avoir adoré shooter pareil groupe, je peux aisément comprendre sa délectation métallique…
Les fausses religieuses délaissent pour quelques minutes leurs instruments respectifs, afin de déclamer quelques spoken words sur des notes de piano préenregistrées. L’instant cinématique prend fin. Elles quittent de concert l’estrade. Des lumières blanches agressives clignotent afin de maintenir le parterre en haleine. Surprise : les filles reviennent vêtues de rouge et coiffées de longues perruques brunes. Je repense alors à l’inénarrable « Salsa du démon » (1980). Nikoline et Victoria jouent avec violence, s’agenouillant devant la batterie de Johanna. L’implorant.
Le rythme se fait épique. Trve black metal. Entre chaque agression, les teignes scandinaves ne communiquent pas ou peu avec les spectateurs, préservant ainsi le caractère théâtral (voire sacralisé) de leur célébration païenne. 12 heures 40, elles annoncent « Black Metal Is Krig », un autre de leurs morceaux de bravoure. C’est la guerre. Il fait 33 degrés. Les doigts de metal se lèvent à l’unisson à l’ultime interlude. La dernière salve est à dominante indus. « Thank You! Merci Hellfest ! Au revoir ! » crient-elles à 12 heures 45.
12 heures 50 : « Hellfest Are You With Us?!? » questionne dans un fort accent anglais Joe Nally, le bassiste-chanteur d’Urne. Dans la famille Gojira, je voudrais les rejetons… En effet, leur dernier disque a été produit par un autre Joe : Joe Duplantier en personne. Joe, Angus (guitare) et Richard (batterie) produisent un metal progressif. Nombre de personnes sont présentement couchées sur le dos à même le bitume de l’Altar. Nous sommes déjà samedi. La musique d’Urne se révèle toute en intensité. Elle me semble, en revanche, moins réflexive que celle de leurs mentors. La voix est écorchée. À la deuxième suspension, Joe cite Gojira et obtient une (maigre) acclamation. En plus d’être stationnaires-immobiles, les festivaliers me semblent désormais presque apathiques… La tente est néanmoins pleine. La prise de parole suivante sera perturbée par le test de la guitare (aiguë, ça va encore être du black…) de la formation qui suivra sur la Temple. Celle d’après le sera par l’essai de la batterie… Un homme tente un slam. Il le réussi. L’ambiance s’élève d’un cran aux alentours de la trentaine de minutes de démonstration, à la grande satisfaction de Joe qui remercie l’Altar à 13 heures 20, avant d’envoyer leur morceau final. Urne est un groupe honnête et généreux.
« Armada »
Retour à la Temple, au sein de laquelle un homme porte une pancarte avec inscrit « Odile Deray ». La faune de l’antre du metal extremiste tout comme ses marottes ont quelque peu mué ces dernières éditions… C’est avec trois minutes d’avance sur l’horaire imparti qu’une bande sonore lourde et menaçante précède l’arrivée sur scène des Croates de Tryglav. Oui, ceux qui testaient leurs instruments il y a quelques minutes. Leur set décolle à 13 heures 35. Le thermomètre est monté à 35 degrés. Le groupe du multiinstrumentiste Boris Behara nous propose un black metal mélodique. La double grosse caisse est mixée en avant. C’est agressif. La voix de ce grand échalas à cheveux noirs encre est grave, plus grave encore que la moyenne BM. Agrippant des deux mains son pied de micro comme jadis feu Joey Ramone, Boris headbangue frénétiquement entre deux parties de chant. Le deuxième morceau, « The Evocation » (2023), s’inscrit dans la stricte observance du style musical. C’est martial, féroce. À l’image de la quasi-totalité des concerts vus depuis le coup d’envoi de ce fest, la population me semble murée dans un immobilisme courtois, ne se manifestant qu’à la demande des artistes. Nul doute que la température ambiante ne contribue guère à l’euphorie ainsi qu’au défoulement collectif déraisonnable… Un couple de retraités quitte la tente. À l’impossible nul n’est tenu. Quoi qu’il en soit, Behera et ses trois instrumentistes nous délivrent cinquante minutes d’un black metal puissant et technique.
« Il faut demander au Hellfest (Rires) Parce que, nous, ce n’est pas qu’on ne veut pas (Rires) Moi en tant que Française, cela me fend le cœur, car c’est un peu LE festival dans lequel j’aurais voulu jouer parce que c’est LA FRANCE » (Clémentine Delaunay, Art’n’Roll, 2024). Il est 16 heures ce samedi 21 juin, le jour de gloire est enfin arrivé, et le chagrin de la précieuse et délicate soprano n’est plus qu’un vilain souvenir… Non présent sur l’affiche dévoilée mi-décembre, Visions of Atlantis a bénéficié du retrait le 13 mai dernier de Peyton Parrish. Je passe sous l’un des deux portiques diffuseurs d’eau, puis me pose au milieu des festivaliers, sur l’herbe en bas de la Mainstage 2. Des notes solennelles au synthé, des frappes de toms, puis des notes de guitare épiques précèdent le magnifique timbre de voix de Clémentine. Voix à laquelle répond immédiatement celle de son compère Michele « Meek » Guaitoli. Les cœurs de l’Italien et de la Française doivent sans aucun doute, battre la chamade à l’instant où leurs voix se mêlent pour la première fois en ce Hellfest sacré. C’est « Master The Hurricane » (2022), une cavalcade de metal symphonique dans l’esprit de Nightwish (Tarja est l’idole revendiquée de Clemi).
« Thank You Hellfeeeeeeeeeeeest! » remercie ma compatriote à 16 heures 08 dans la langue de Shakespeare. « Hellfest est-ce que vous êtes là ?!? » interroge-t-elle une minute après dans la langue de Molière. « Clocks » (2022), la deuxième « quête », me semble davantage « pirate » dans l’âme. Un pan de sa magnifique robe rouge et noire en main, l’altière Clémentine parcourt l’immense estrade, tournant de temps à autres sur elle-même avec élégance. Des fumigènes puis des flammes sortent du plancher de la scène. Un circle pit se déclenche. Un homme arrose à la lance les premiers rangs. Entre les chansons, la rebelle mais distinguée Clémentine s’adresse au public tantôt en français tantôt en anglais. Il faut préciser que Visions of Atlantis est une formation originaire d’Autriche et composée de musiciens de plusieurs nationalités européennes (a minima trois). Clemi et Michele brandissent, comme à chaque représentation, leur drapeau noir frappé d’une tête de mort. En parlant de drapeau, j’ai dans l’ensemble remarqué que ceux-ci ont, cette année, comme par magie noire disparu de la foule et des campings ; tout comme les spectateurs étrangers ont quasiment disparu du Hellfest. Le seul drapeau que j’aperçois est en l’occurrence celui du RC Toulon…
Il est 16 heures 30, et le latin chanteur demande aux premiers rangs de s’assoir à même le sol clissonais puis de lever les bras. Une galère géante et imaginaire prend immédiatement forme. À l’intermède suivant, Michele n’hésite guère à qualifier le Hellfest de « meilleur festival au monde ». Puis il annonce « Melancholy Angel » (2022). Nous sommes le premier jour de l’été. En dépit de cette chaleur écrasante, la totalité du public est de nouveau debout, et lève les mains en rythme. Elle sautille même, pendant les refrains. Les huit chansons présentées sont exclusivement extraites des deux derniers albums studio (Pirates et Pirates II: Armada) de ce singulier et si romantique groupe, pourtant déjà
vieux de vingt-cinq ans. Le récent virage « pirate », très certainement initié par Clemi, constitue désormais l’ADN de l’équipage styrien. Avant de prendre congé, la liane brune annonce les concerts de février 2026 qui auront lieu à Paris et à Lyon. La joie se lit dans les yeux cerclés de noir de son partenaire. Un circle pit final se déclenche sur « Armada », la dernière « quête » effectuée aujourd’hui. Je prends congé de la pelouse à 16 heures 45, constatant que Visions of Atlantis a remporté un franc succès. Mérité. Quelle prestance, quel panache !
Après une longue intro au piano, le black metal des Québécois de Spectral Wound tombe à bras raccourcis sur la Temple à 16 heures 52. Je me dis que la musique de ce quintet ténébreux ne manquerait pas de plaire aux blackeux et aux blackeuses… Du black presque black’n’roll. Pour l’heure, le public du Hellfest observe poliment faute de mieux… J’en viens, par association d’idées, à me dire que ce combo est à recommander aux néophytes tellement il me semble représentatif du genre. Pédagogique. En parlant de néophytes, je salue chaleureusement mon ami Guillaume, venu pour la première fois au Hellfest en compagnie de sa compagne, ainsi que de sa nièce, nièce que j’ai d’ailleurs connue toute bébé il y a une vingtaine d’années de cela…
« Fugue »
« Ma mère est Française, et je me suis rendu en France jusqu’à mes quinze ans chaque année quand j’étais petit. J’aime les gens, j’aime la cuisine, j’aime le vin, et cela me manque de ne pas pouvoir me rendre en France : lorsque cette putain de pandémie sera derrière nous, la première chose que je vais faire sera de venir en France, et de profiter de toutes ces bonnes choses ! » (James Lascelles, 2021). Wheel a souvent été comparé à Tool, à tort ou à raison. Il est 17 heures 40 et les Finlandais dont le meneur est Britannique vont imminemment investir l’Altar. Je repense alors à cette conversation téléphonique du lundi 5 mai dernier. Amélie Nothomb m’avait appelé aux alentours de 11 heures, pour un échange dont je ne peux révéler que l’épilogue : « Venez à mon enterrement, il y aura du Tool ! » Hasard du calendrier, cette prise de contact onirique (mais bien réelle) a eu lieu trente ans presque jour pour jour après son anesthésie (fictive) du lundi 8 mai 1995, celle narrée dans son roman Péplum. J’ai omis de lui demander s’il elle avait prévu d’être au rendez-vous de cette dix-huitième édition… Je savais uniquement qu’elle s’était rendue incognito en ces lieux en 2019… pour admirer Tool.
Dans l’immédiat, Wheel entame sur « Porcelain » une leçon de musique-à-méninges. Un premier son est diffusé à 17 heures 45. Il entraîne quelques sifflets d’encouragement. La grande bâche frappée du logo du quartet européen baigne dans une lumière verte type « Denver le dernier dinosaure ». Une lueur douce, à l’image de leur art acidulé. Le timbre de James Lascelles est nettement moins torturé que celui de Maynard James Keenan. Les rythmes sont relativement lents, prog’. 17 heures 55 : sous des lumières violacées sont jouées les splendides premières notes de l’inspiré (et bien-nommé) « Fugue », extrait de Resident Human, leur deuxième album paru en mars 2021 chez Odyssey Music. Ses divines parties de guitare sont conçues pour transporter. Applaudissements. Le morceau suivant, « Empire » (2024), contraste de par sa massivité. Ma voisine m’évente spontanément de son éventail. Merci. L’air est irrespirable. Les bras des festivaliers se lèvent de temps à autres, en fonction des moments forts de telle ou telle complainte, mais jamais plus d’une petite dizaine de secondes d’affilée… Le présent set étant principalement formé de compositions apaisantes, nulle nécessité dès lors de gigoter…
L’Altar se vide progressivement aux alentours des vingt-cinq minutes de la performance. Lascelles et ses trois comparses (Santeri Saksala à la batterie, Jussi Turunen à la guitare, Jere Lehto à la basse) se lancent alors dans un instrumental. Long, métallique, et captivant. « Hellfest mes amis, comment ça va ?!? » questionne le taiseux insulaire, résident finlandais. À 18 heures 20 est restitué le trépidant « Vultures » (2019). L’influence Tool est pour le coup palpable. La voix de James se fait soudainement plus forte, autoritaire, son chant est soutenu. Sans être délirante, l’ambiance dans l’Altar en ce début de soirée est conviviale et détendue. À l’instar, tout simplement, de celle qui baigne globalement depuis trois jours cette formidable édition. « Wheel » (2019) est entamé en clôture à 18 heures 26 sur des frappes complexes. Un drapeau à tête de mort ondule au-dessus des premiers rangs. Les lumières se font purpurines au cours des dernières secondes. Les mains des festivaliers se lèveront en deux ultimes occasions : d’abord pour battre à l’unisson la mesure ; ensuite afin d’applaudir les artistes. L’humble chanteur-guitariste quitte l’estrade à 18 heures 35. Je gage que la graphomane wallonne, Impératrice de l’introspection, eut certainement apprécié cette petite heure de grande musique… C’était chaud et froid à la fois…
« The Hell Patrol »
Je décide de conclure cette studieuse journée de rédaction au VIP. Devinez sur qui je tombe vers 20 heures 30 ? Oui, sur James Lascelle ! Le cérébral terminait alors une conversation avec deux des mecs de Leprous, lesquels devaient eux se produire sur la scène de l’Altar aux alentours de minuit… Un échange inopiné, des plus cordiaux, s’ensuit. Une sorte d’interview non-bookée, assortie d’une séance de poses sur le pouce au Nikon D610. Le plus cocasse, voire stupéfiant, étant que Wheel figurait au rang de la poignée d’artistes qui n’avait nullement donné suite à ma demande d’interview pour ce Hellfest (ça, je ne l’ai réalisé qu’après mon retour)… Nous évoquons tour à tour l’heure de jeu de Wheel, la passion de Madame Amélie Nothomb pour le mythique « grand frère », ainsi que (notre interlocuteur a insisté là-dessus)… les origines françaises de James par sa mère. La boucle rédactionnelle est bouclée.
Ce samedi 21 juin n’en restera pas là… Loin de là. Il me restera encore à mirer : Judas Priest (une setlist particulièrement costaude avec « All Guns Blazing » et « The Hell Patrol » en entame) ; ce sacré monstre scénique d’Abbath (une setlist « que du Immortal », avec bien sûr le chimérique « Blashyrkh (Mighty Ravendark) ») ; ainsi que Scorpions. Cerise sur le gâteau : mon pote Paul (que j’ai finalement réussi à rejoindre, tout comme mon autre ami Matthieu) me fait don (ou plutôt dépôt) de la sneaker noire et blanche d’Igor Sydorenko le chanteur-guitariste de Stoned Jesus. Pompe qu’il a chopée au vol dans l’après-midi, à la fin du concert du trio ukrainien (selon lui : excellent, le meilleur de son fest) donné devant une suffocante Purple House… Paul a dans l’idée que restituer ladite tatane à son propriétaire m’aidera à créer comme une sorte de connivence, lors de l’interview qui sera (très probablement) organisée à l’automne prochain (sous le patronage du label Season of Mist), dans le cadre de la promo du huitième album. Stay Tuned les aminches !
Mes trois concerts persos samedi 21 juin 2025 :
- Abbath
- Wheel
- Visions of Atlantis
Photos par Pauline Cassier (sauf une).
Mercis à Angélique Merklen pour les relectures.
Place maintenant au dimanche les amis !