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Public image Ltd à l’Ääniwalli d’Helsinki

samedi/14/10/2023
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La classe 1977 se porte tel un charme en cette pâle décennie 2020, elle n’a visiblement guère décrété de nous abandonner et de nous râvir. Après le charmant et anglocentré « Darkadelic » servi sur un plateau fluorescent en mars dernier par de sémillants Damned, Public Image Limited s’est illustré le 11 août dernier avec « End of World », une enchanteresse succession de cartes postales vocales adressées par le sexagénaire John Lydon. Un disque d’exception, apte à capter l’ère des temps et à la restituer de façon cohérente, où chaque plage musicale possède une personnalité propre, s’appréhendant avec constructive progressivité pour ne plus vous délaisser. Au sommet de son inspiration et de ses arts, Lydon y est tour à tour maître de cérémonie victorien et halluciné (« Penge »), jeteur de sorts sarcastique (« End of World »), scatman acrobatique (« The Do That »), ex-railleur de hippies devenu pourfendeur de wokes (« Being Stupid Again »), conteur discoïde (« L F C F »), et finalement vieil homme tendre (« Hawaï » un merveilleux hommage à sa femme Nora Foster, décédée de la maladie d’Alzheimer le 5 avril dernier, l’album lui étant intégralement dédié). Chacun desdits masques mis en relief par une formation chevronnée mais économe, clean (« North West Passage » me faisant par instants penser à du Tears for Fears 1989) ; une symbiose magnifiée par une production à la fois contemporaine et intemporelle (l’apanage des grands disques). Tous les morceaux de cet album sont mémorables. Tous. Recommandable de surcroît à tout mélomane, accessible (bien plus que les nihilistes et inauguraux « Public Image: First Issue » et « Metal Box » de 1978 et de 1979, rien à voir même), nullement réservé aux claquemurés du chanteur et de son œuvre, monomaniaques du post punk et autres rescapés de la cold wave. En toute logique et comme de bien entendu, PIL s’est lancé cet automne dans une très attendue tournée britannique puis européenne, certaines enceintes de capacité moyenne affichant complet plusieurs semaines à l’avance (Leeds, Sunderland, Brighton, Stockholm).

Votre serviteur a pris date. Et a souhaité se rendre, non pas à celle du parisien Trianon fixée au 26 octobre, non ce serait trop facile, mais à celle du vendredi 13 à l’Ääniwalli d’Helsinki. PIL en Finlande au mois d’octobre. Écrin spacio-temporel de rêve. Avec également en ligne de mire mon deuxième face-à-face live avec Johnny Rotten / John Lydon, le premier ayant été vécu en compagnie de mon frère au concert des Pistols au Zénith de juillet 1996, vingt-sept années s’étant ainsi et entretemps écoulées… Il conviendra naturellement de se familiariser au climat, à cette langue fennique (« Osta Liput » veut dire acheter des billets) ainsi qu’aux règles locales (le site Internet de la salle mentionnant : « The age limit is 18 for the concerts and 20 for the club nights »). L’Ääniwalli constitue un point de passage des artistes à Helsinki, d’ailleurs les skinheads Cockney Rejects y joueront la semaine prochaine (après la classe 1977, celle juste après, tout un symbole). Il fait frais et l’astre solaire décline doucettement, taxi sur les coups de dix-huit heures direction la zone industrielle au nord de la capitale, l’Ääniwalli étant vraisemblablement une friche du même adjectif, un ancien immeuble de bureaux je suppose. Un car noir est stationné dans la cour et quelques techniciens et employés s’affairent. Je pénètre dans le hall au fond duquel l’étal de merch est disposé, puis dans la salle de concert où les batteries (première partie et tête d’affiche) sont installées itou. J’acquiers de suite un t-shirt XXL (taille qui étonne le vendeur écossais au constat a priori de mon gabarit) noir frappé du logo PIL au recto et de la liste des villes de la tournée au verso (pour info, hier c’était Tallin et dimanche ce sera Berlin). L’équipe des barmans s’active, mais la caisse n’est pas ouverte, pas possible dans l’immédiat d’y acheter un paquet de clopiaux (ils en vendent). Un des serveurs, Damien, m’en offre spontanément un et me dit venir de Versailles, me proposant aimablement de patienter une petite heure pour l’ouverture du site. C’est à cet instant précis que je réalise que je suis très en avance et surtout de n’avoir rien à faire en cet endroit, réalisant de même qu’absolument personne ne m’a enjoint depuis mon arrivée il y a une bonne quinzaine de minutes de le quitter (allez commettre cela à Paris tiens…). Soucieux des règles (et accessoirement soucieux de ne pas aggraver l’image déjà catastrophique des français à l’étranger) je regagne l’extérieur (et le froid). Ça tombe bien, le minivan blanc qui transporte John Lydon se gare à cet instant, vêtu d’un sweat-capuche bleu orgeat « End of World Tour » et chaussé de grosses tatanes rouges, l’atrabilaire chanteur sort du véhicule en marmonnant des trucs puis se dirige à toute hâte vers l’entrée des artistes en compagnie d’un mec que je suppose être Rambo. Sans un mot ni un gribouillis pour les quatre ou cinq blonds qui poireautaient fébrilement pour lui, trente-trois tours de PIL et marqueurs en mains. C’est moche mais je ne suis guère surpris. Un homme, avec lequel je devise devant les barrières qui viennent d’être installées, me dit que le caractériel anglais serait atteint du syndrome de John Lennon, la peur d’être assassiné. Mouais. Son fils qui l’accompagne au concert connaît Téléphone, Gainsbourg, Air et la Mano et me demande des noms de groupes français à découvrir, ceux de Gojira et de Treponem Pal sont les premiers qui me viennent à l’esprit, puis Miossec. À l’entrée il faut payer une taxe de sept euros pour la sécurité je crois, rien compris, je paie sans me poser davantage de questions on est au pays des taxes. La première partie est assurée par Bob Malmström. Qui entament leur tonitruante prestation par la diffusion de chants traditionnels a capella. Très convaincant. Du punk-metal finlandais avec quelques passages grind et une ou deux incursions rap, le chanteur chevelu en costume blanc Carolus Aminoff (et chef de file du bourgeois core movement) donne de tout son être sur scène, son franc engagement contrastant avec l’inertie polie du public. Les finlandais ne sont pas extravertis. On n’a pas l’impression que les gens sont venus assister à un concert en fait, impression renforcée par le caractère communautaire limite autogéré à la nordique de l’Ääniwalli (Damien me dira plus tard que contrairement aux apparences c’est bel et bien une société privée) ainsi que par la disposition des lieux : un hall pourvu d’un grand bar au centre, la salle de concert à côté, les convives passant de l’un à l’autre, certains fumant des cigarettes à l’extérieur (dont un sosie de… Christophe Miossec en docs bordeaux). Malmström achève son show par une pompe de « Creeping Death » puis salue victorieusement le public pendant qu’est diffusé le générique eighties de Dynasty. Amusant.

Je regagne ma place tout devant à droite près des baffles après avoir échangé ou plutôt tenter d’échanger quelques mots avec Carolus (afin de faire une petite vidéo dédicacée à Ask) qui n’a pas l’air de causer parfaitement l’anglais. Vingt heures quarante-cinq, une version reggae de « The Girl from Ipanema » tente elle de chauffer la foule, tandis que deux videurs se positionnent de part et d’autre de la scène dans le pit photos bras croisés, rejoints par deux photographes accrédités (ça fait pas besef). Vingt-et-une heure cinq, costume XXXL à gros carreaux bleu clair et cravate orange, John Lydon s’avance vers son pied de micro, y grommelle « Welcome to Penge… » de sa voix la plus grave, limite growlée, incline la tête bras gauche levé de façon autoritaire tandis que le batteur frappe lentement les trois coups de ses baguettes avant d’entamer le martial « Penge », qui est également le morceau d’entame du dernier album. J’avais parié avec moi-même qu’ils allaient commencer par « Penge », ritournelle lugubre parlant d’une ville maudite. Avant d’attaquer les paroles Lydon mime des spasmes, puis growle de nouveau, menaçant. Son démesuré costard trop large d’épaules n’est pas sans rappeller celui que portait David Byrne en 1985… À l’issue du deuxième morceau, « Albatross » en provenance de l’antédiluvien « Metal Box », Lydon s’adresse à l’assistance avec un « Hello Helsinki ! » (c’est bien la première fois que je me fais appeler « Helsinki » moi !). Il est extrêmement théâtral sur « Being Stupid Again », surjouant son propre rôle. Il est pro et il le sait. Il entame « This is not a Love Song » en postillonant. C’est marrant mais je n’aurais pas imaginé ce hit mondial en quatrième position de ces vespérales réjouissances… Aux instruments et aux chœurs, le groupe est époustouflant de professionnalisme, tellement assuré qu’on en viendrait à oublier la présence des trois musiciens (Lu Edmond, Bruce Smith et Scott Firth par ailleurs ex-bassiste des Spice Girls). La basse ainsi que les arpèges sur le dansant « This is not a Love Song » sont proprement fabuleux. Fidèle à lui même, Lydon donne des coups de menton dans le vide, tête projetée en arrière et voix chevrotante. Petit à petit le glacis finlandais laisse place à un quelque chose de chaleur collective, même si l’on est encore loin question ambiance d’une noce séfarade… De très longues plages instrumentales habillent le concert aux alentours de vingt-et-une heures cinquante. Puis c’est la chanson celtique « Car Change », autre extrait de ce « End of World ». Il y en a eu trois de joués ce soir, j’imaginais qu’il y allait en avoir davantage… Lydon a a contrario souhaité piocher ici et là dans les quarante-cinq années d’existence de Public Image Limited, puisque pas moins de dix albums sont représentés dans cette panachée setlist. Du panache justement, le maître des lieux ce soir en a assurément à revendre. Passant du grave à l’aigu sans crier gare, les yeux tantôt exorbités tantôt inquisiteurs, toisant ses quelques centaines de spectateurs, me faisant penser à une version punk d’un professeur de droit public un tantinet mégalo que j’ai eu il y a vingt-cinq ans en contentieux administratif à Assas. Vingt-deux heures dix-sept ça s’anime autour de la buvette, et c’est le premier rappel. Formé par trois morceaux : le classique « Public Image » issu du premier album ; « Open Up » que Lydon avait enregistré en 1995 avec le duo de musique électronique Letfield ; pour achever sur « Rise » de 1986, l’autre chanson à succès de PIL. Franc succès. L’Ääniwalli d’Helsinki la finit en scandant « Anger is an Energy » d’une seule et unique voix. Salutations et applaudissements nourris à vingt-deux heures trente-sept. Rotten badine quelques instants supplémentaires avec l’assistance, déclenchant une ovation à chacun de ses bons mots, que je ne comprends pas tous forcément (« Quelqu’un m’a appelé Hilda »). Mon voisin me glisse « He’s Right » en rieuse référence aux paroles de « Rise » qui viennent juste d’être déclamées (« I could be wrong, I could be fright / I could be black, I could be white / I could be right, I could be wrong / I could be white, I could be Black »). Les lumières se rallument. Mes septentrionaux convives rejoignent leurs pénates, silencieux, disciplinés, presque à la queue leu-leu. Pour ma part, je serre la main de Damien et m’en vais quérir un taxi dans la nuit noire baignant cette zone industrielle, où tout est décidément rectangulaire.

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