« Twist in my Sobriety »
« Ils sont venus les temps / o l’argent du connétable / achète la mer à l’encan / et pour qu’injuste soit la fable / la noire marée brise l’envol du goéland / car ils se meurent nos oiseaux » (Émile Le Scanff, dit « Glenmor », 1967)
On dira ce qu’on voudra des régionalistes bretons, mais un homme qui s’insurgea contre la misère des volatiles, ne pouvait guère être mauvais. C’est d’ailleurs sous le chant des tourterelles que je m’apprête à me rendre pour la première fois en cette édition à l’imposant Espace culturel et de congrès Glenmor, inauguré à Carhaix en 2001. Construit au-dessus de la petite plaine de Kérampuilh, cet édifice béton-bétonnant constitue le lieu d’accueil, de restauration, de loges des artistes du Motocultor. C’est donc en ces lieux que se tiennent les conférences de presse et les interviews. Je n’ai que des bons souvenirs, des rencontres et de la qualité des conversations, que j’ai faites en cet espace : Fernanda Lira, Katon W. De Pena (qui s’était perdu), My Diligence, les jeunes Berlinois de Future Palace… J’ai rendez-vous à 11 heures avec les Allemands d’Hiraes. Donc, pour une fois, ce n’est pas une corvée pour moi de gravir une pente…
12 heures 21, les ingés-son testent les baffles de la Dave Mustage sur « Twist in my Sobriety » de Tanita Tikaram (1988). Amusant. Les scènes principales vont être, une heure vingt-cinq durant, réquisitionnées par le metal français. Par les Parisiens d’Hürlement d’abord. « Motocultor debouuuuuut !!! » à 12 heures 44. Une petite foule est au rendez-vous du thrash-speed hexagonal. Il y a des poses heavy, de la veste à patchs, des lunettes noires, de l’engagement : c’est parfait à shooter. C’est le moment précis que choisit une guêpe pour me piquer à l’avant-bras droit. Petit passage au poste de secours animé par l’Ordre de Malte, je constate ne point me trouver seul en pareil cas. Petite compresse et bandage de glace, afin de pouvoir voir la fin d’Hürlement. J’ai dans l’idée qu’ils ont pris
plus de plaisir que moi durant leur concert. Hexecutor sont quant à eux de Rennes. On monte d’un degré en violence, et avançons de deux-trois années dans l’histoire de la musique. Ils jouent du thrash-black de bonne facture. Il y a du noir, des clous et des cheveux très longs. Des alternances entre moments speedés, éructés, et montées épiques à scander. Le bassiste assure une bonne présence scénique. Si Lords of Chaos avait été filmé en France et non en Norvège, Hexecutor n’aurait nullement dépareillé dans la B.O.
« Godess of War »
Tout fan de Pavement ou des Smiths meurt immédiatement (dans d’atroces souffrances) à l’écoute ou à la vue de All For Metal. C’est du moins ce que je me dis en voyant débouler ce groupe, voire collectif, à toute allure sur la Dave Mustage. On sent, en tous cas, l’amour de jouer tous ensemble. D’ailleurs « All Together » sera répété à maintes reprises durant le spectacle « 100 % metal » qui s’offre une heure durant à nos mirettes de metalleux et de metalleuses. « All Together » sera rabâché tel un leitmotiv par le colosse en cuir qui officie au rôle de chanteur (et de mâle Alpha accessoirement) ! Tout à l’heure je parlais de « pose », là nous sommes au minimum à « pose puissance max »,
pour le plus grand bonheur des petits et des grands. Il y a un peu d’Amon Amarth (pour le côté viking), un peu de Feuerschwanz (pour le côté cirque et médiéval), du Nanowar of Steel également (pour l’humour)… En bref, c’est du pur divertissement. Ces saltimbanques metal nous viennent, pour partie, de ce pays gorgé de soleil qu’est l’Italie. L’autre étant originaire de la patrie de Powerwolf. Il y a deux chanteurs : le costaud est dans les graves, le moins costaud dans les aigus. Quant à l’auditoire, il scande en rythme et en redemande. Les convives sont conviés à une singing session du groupe tout à l’heure. Un des concerts de cette journée. Qui se termine sur à 14 heures 50 sur l’épique « Godess of War ».
« ANR : J’ai également l’impression que votre musique est taillée pour les festivals, à la tombée de la nuit… Le Hellfest vers 22 heures par exemple…
Lukas Kerk : Nice !
Britta Görtz : Exactement (Rires) » (Hiraes, Art’n’Roll, 2021).
La huitième prestation française du groupe d’Osnabrück (et deuxième dans le cadre d’un festival après le Barbeuk Metal Fest angevin l’an dernier), n’aura pas lieu au Hellfest vers 22 heures, mais au Motocultor à 15 heures pile. Je les ai quittés peu avant midi à Glenmor, et leur ai dit que le public d’ici n’était pas du tout, mais alors pas du tout, rétif aux circle pits, et qu’ils pouvaient lui en demander autant qu’ils le souhaitaient. Il est à présent 14 heures 53, et Julien Truchan de Benighted patiente en tongs aux abords de la Supositor Stage. Quant à votre serviteur, il pénètre sagement dans le pit photo. Où un petit escalier blanc a été disposé pour que les artistes puissent descendre de l’estrade à leur guise. 15 heures 01, la sono diffuse « Check my Brain » d’Alice in Chains (2009). Une partie des photographes opine déjà du chef. C’est à 15 heures 07 que déboule la tonique Britta Görtz, précédée de ses quatre instrumentistes, tous vêtus de noir. Elle est virevoltante. À la deuxième pause, elle demande au Motocultor de faire une ovation au batteur de Skeletal Remains (qui doivent jouer à 16 heures 35 sur la même scène), pour avoir remplacé leur batteur au pied levé. Balèze le type… En plus, ajoute Britta, c’est aujourd’hui son anniversaire ! Le public s’emploie sur le champ à le lui chanter… Ce concert fut l’un des meilleurs de cette édition, les Allemands ont tout donné… C’est bien simple : j’en ai oublié ma piqûre au bras. Bien entendu, Britta n’a pas hésité à demander plusieurs circle pits : elle les a, bien entendu, tous obtenus. Néanmoins, le son déconne très nettement vers la fin du set. « Thank You ! Merci beaucoup ! » à 15 heures 34, pendant que Stéphane Buriez effectue sa balance sur l’estrade voisine. Ultime « Let Me Hear You !!! LOUDER !!! » de Britta à 15 heures 39, avant le clap de fin, puis le selfie collectif dos au public à la minute suivante.
« Quarante ans, c’est la vieillesse de la jeunesse ; cinquante ans, c’est la jeunesse de la vieillesse » (Victor Hugo). Retour en 1985 : dans le Nord, à Lille, le jeune Stéphane Buriez fonde Loudblast, qui deviendra le groupe de death metal français le plus influent, le plus connu et le plus ancien encore en activité. Quarante printemps plus tard, les cheveux longs ont laissé place au crâne rasé, les albums et les tournées se sont enchaînés, mais force et conviction sont toujours là . Leur dernier album, Altering Fates And Destinies (2024), en est la preuve. Il allait de soi que les réjouissances allaient se poursuivre ici et maintenant sur la Dave Mustage. 15 heures 45, l’introduction de « Crazy Train » fait sursauter ma voisine dans le pit photo. La foule apprécie cet hommage à Ozzy. J’en chante
le refrain avec mon voisin, un spectateur placé de l’autre côté de la barrière. Tous les deux faux, ai-je besoin de le préciser ? 15 h 47 : Bubu investit l’estrade poing levé, accompagné de ses hommes. Chaque membre de l’équipe porte un t-shirt frappé du logo d’Ozzy Osbourne. 15 heures 48 : Loudblast reprend à son tour quelques secondes du légendaire morceau, avant d’entrer dans le vif de son concert. « MOTOCULTOR !!! ». Les gens scandent au même rythme que le Parrain du metal français. Ça headbangue lentement en cadence. Le chef est déjà tout rouge, son crâne commence à luire : « PUTAIN LE MOTOCULTORRRR !!! ». Il va au-devant du public, il lève les bras, le public le suit, ça lui arrache un court sourire… « On est vraiment putain de content de vous avoir pour nos quarante ans, FOUTEZ-MOI LA MERDEEEE !!! » La foule entonne à 16 heures un « joyeux anniversaire », en l’occurrence bien mérité par Loudblast. Sortie de scène à 16 heures 26, sur la diffusion de « No More Tears » d’Ozzy (1991). Décidément, Buriez sait y faire : un anniversaire et un hommage post mortem réussis en même temps !
« Les bottes rouges »
« Didier Wampas : Je me rappelle être allé à Bercy voir Mötley Crüe en première partie d’Iron Maiden (NDA : a priori à l’Espace Balard, le 29 octobre 1984). Et je suis parti une fois cette première partie terminée, j’en ai rien à foutre d’Iron Maiden… Il y avait les CRS dehors qui ne comprenaient pas : « – Pourquoi vous partez ?!? » et tout (Rires) – Parce que j’en ai rien à foutre d’Iron Maiden… ». Cela avait choqué les CRS. Je n’ai jamais compris Iron Maiden. Il y a un truc que je ne comprends pas…
ANR : Peut-être parce qu’au fond, Maiden est un groupe Prog’. Tu n’as jamais donné dans le Prog’ ?
DW : Non. Je détestais ça.
ANR : Maiden possède une approche assez Prog’…
DW : Faudra que j’essaie un jour… » (Didier Wampas, Art’n’Roll, 2018).
21 heures moins cinq : le chef des Wampas vient montrer sa ganache sur scène, alors que rien n’a commencé. Il est d’emblée acclamé par les afficionados et das. Didier Wampas, Jean-Michel Lejoux, Nicolas Schauer, Effello Wampas et José Pinto (en remplacement de Tony Truand) prennent d’assaut pour de bon la Bruce Dickinscène un peu plus de cinq minutes plus tard. Quand on sait ce que Didier nous avait dit de Maiden, c’est plutôt cocasse… Entrée du groupe sur « L’amour est un bouquet de violettes » de Luis Mariano. Ne riez pas, je pense que c’est du premier degré. Souriant, Didier enfile sa guitare et se pose bras en croix tête en arrière, face à son auditoire. Acclamation. Le chanteur frondeur porte un t-shirt « Hollande 2012 » grossièrement dépouillé de ses manches. Et une casquette trucker jaune fluo « We Play Metal » (une marque de fringues metal espagnole). Quatre missiles vont d’emblée s’enchaîner : « Sauver le monde », « L’aquarium tactile », « C’est l’amour » et « C’est politique ».
Premier constat : le jeune José, qui remplace Tony Truand, a tout appris de ses aînés. Avec sa Gretsch orange et son t-shirt rouge vif, il aurait pu parfaitement jouer vers Pigalle en 1989… Il est autant appliqué que sa crête est rouge… Quelle classe rock’n’roll le tiot ! D’ailleurs, son patron du soir l’intègre avec facilité à son jeu de scène : duels de guitares et complicité à gogo ! La proverbiale vitalité de Didier semble démultipliée au contact de cette jeune recrue. Puis il pose sa Gibson Les Paul Junior noire et sautille à pieds joints. Premier bain de foule au bout de deux ritournelles, drapeau breton en
pogne (c’est du propre pour un parigot du 19e !) Puis sur « Comme un punk en hiver », ce génial cabot qu’est Didier nous affirme faire sa meilleure voix « Heavy Metal », et demande un Wall of Death « plus gros qu’au Hellfest » ! Didier Wampas a 63 ans, et balance absolument tout. Quel panache mon Didou ! 21 heures 21, il braille de toutes ses tripes « Punk Ouvrier », « comme avant il y avait des prêtres ouvriers ». Une autre magnifique composition, morceau de bravoure et de partage. Sur un rythme yéyé en plus. Car plus loin, à quelques encablures de là , la concurrence est rude. Extreme joue son hard rock vanhalenien sur la Dave Mustage. Didier n’en a rien à foutre : les Wampas ont inventé le rock’n’roll. D’ailleurs à 21 heures 21, le groupe joue « Les Wampas sont la preuve que Dieu existe ». Si ce n’était pas le cas, ce serait sinistre. Nouveau solo endiablé par le nouveau venu. 21 heures 23 et vient « Manu Chao ». Adhésion totale de la Bruce Dickinscène. S’ensuit un beat rock pachydermique, probablement pour confirmer que les Wampas n’ont pas chapardé leur ticket pour cette édition du Motocultor, leur deuxième participation.
Cela contraste avec « Les bottes rouges », une comptine que n’aurait pas reniée Henri Dès (ou Helldebert). Didier fait l’andouille : « Allez le Motoc’ : la la la lalalalala ». Tout le monde danse. Puis il demande : « Emmenez moi voir les PMR ». Dont acte. « C’est quoi après ?!? Commencez !!! ». C’est « L’avocat » (2024), en version grungeoïde étendue. Sûr de lui, Didier Wampas continue son spectacle : « On va faire Jacques Martin : faites monter un enfant… -Émilie tu aimes bien ton papa et ta maman, ils font quoi dans la vie tes parents ? -Mon papa vend des antennes et ma maman des télés »… Incroyable. Surréaliste. S’ensuit un instant bretonnant, je ne savais pas que Didier avait des notions. Tout ça pour introduire « Ce soir c’est Noël ». Ce grand fana de la petite Reine dédie ensuite à Marco Pantani la chansonnette « Rimini », qui est reprise en cÅ“ur à la nuit tombante par le Motocultor. 21 heures 49 : c’est « Oï ». Didier Wampas est le roi et il n’a pas peur des skinheads grecs. 22 heures, et le boute-en-train conclut : « Au revoir les enfants, on vous laisse avec du metal, du gros métal allemand qui tâche ». Ainsi s’achève ce samedi. À mes yeux, le plus grand groupe de rock-twist-surf-punk-yéyé-parigot emporte la mise du jour. C’est mon report, c’est moi qui décide.
Mes trois concerts persos samedi 16 août 2025 :
- Les Wampas
- Loudblast
- Hiraes
Dimanche c’est là les amis !
Motocultor – Dimanche 16 août 2025 – « Réglages, réglages »