Westill – Vendredi 31 octobre 2025 – « L’affaire des trios »

lundi/03/11/2025
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« You, The King »

 

16 heures 01, sur une note sèche est entamé le set de Wormsand. Un mélange de lourdeur rythmique et de planant dans l’idée. Chaque grave étant soutenue par des lumières blanches crues. « Bonsoir le Westill !!! Ça c’est Wormsand !!! » crache nerveusement Clément, le bassiste-chanteur à 16 heures 05, avant de s’enquiller fissa un petit coup de flotte en bouteille. Ce qu’il y a de bien avec les festivals stoner, c’est que tout groupe ou artiste peut s’y révéler l’égal des autres. Chacun est en effet susceptible de créer l’événement, quelque soient les états de service respectifs, les moyens techniques, la place sur l’affiche et l’amplitude des réputations. C’est pour cette raison qu’il est recommandé à tous les festivaliers stoner (et plus particulièrement au chroniqueur) d’être présents aux abords de la scène dès les premiers accords assenés ou arpèges égrenés… Le camarade Moland Fengkov le sait bien, il répond présent, il a fait comme moi le déplacement depuis le 19e… La jolie salle du Champilambart n’est qu’à moitié pleine, nous sommes un jour travaillé ne l’oublions pas. Au fond, les bénévoles sont affairés à servir les premières bières au bar. Parmi eux, le président du Westill. Frappés des logos de la quinzaine de groupes à l’affiche, les gobelets en plastique sont tout bonnement superbes. Première, et je l’espère unique, déception : il n’y a pas de pit photo. Heureusement, le public sera compréhensif, et me laissera accéder au premier rang sans barguigner tout du long du fest. Dans l’immédiat, c’est l’heure du goûter, et les Mentonnais de Wormsand étrennent avec fracas cette neuvième édition. Je perçois comme un contraste entre la décontraction scénique du trio et le sérieux de leur propos sonique.

Wikipedia nous apprend (si besoin est) que Menton « est connue pour ses plages ». Y’aurait-il comme un rapport entre ce « ver de sable » et les étendues sablonneuses de leur bourgade d’origine ? Julien, Clément et Tom pratiquent du sludge, ce genre « boueux » originellement modelé du côté de la Nouvelle-Orléans. Wormsand serait par suite un nom de choix pour un groupe de sludge mentonnais, une judicieuse adaptation azuréenne du sous-genre « popularisé » outre-Atlantique par Eyehategod, Crowbar et Phil Anselmo. 16 heures 11, c’est d’une lourdeur incroyable. Les premiers rangs, tous lookés stoner, opinent lentement du chef avec délectation. Le chanteur envoie « des cris indécents », comme l’écrivait Marguerite Duras en 1943, des cris de perdus. Certains passages m’évoquent Nirvana, tant dans le scénique éperdu que le chaos basse-guitare-batterie. Le tout sous des néons blafards. En plus lourdingue, quoique. 16 heures 28, le chef du chaos envoie définitivement bouler sa boutanche d’eau vidée. 16 heures 33 : « Merci beaucoup Westill c’était Wormsand ! ». 16 heures 38, le batteur quitte son set pour venir pianoter sur le synthé les dernières notes du set. Vraiment très bon. Paul me glisse : « Ils n’ont pas joué « You, the King », après ils ont des morceaux de leurs anciens EP, dont « Michel Sardoom », c’est très bien pour ouvrir le festival ».


« Les popérénistes »

 

Le genre stoner a ceci en commun avec le Parti socialiste français (du moins, du temps de sa superbe…), qu’ils sont composés de courants, de chapelles, de micro-partis, de personnalités isolées (sur le retour ou non), voire d’infiltrés… Ce gentil microcosme étant réuni a minima autour de deux-trois idées communes… Les intransigeants sludgeux seraient, dans une certaine mesure, des popérénistes ou le CERES. Dans la vaste, indéfinie, exigeante et disparate famille stoner, les Mephistofeles feraient quant à eux partie de la branche de ceux pour qui « l’expansion de l’univers s’était arrêtée en 1973 » (on n’aura jamais fait plus éloquent que cette image, signée Jean-Charles Desgroux dans sa somme Stoner : Blues for the Red Sun). Des sortes de nostalgiques de la SFIO, quoi… Le trio composé d’Ismael Dimenza (basse), Iván Sachar (batterie) et de Gabriel Ravera (guitare / chant) nous vient de Paraná, un trou de 240 000 âmes, localisé à 470 kilomètres du nord de Buenos Aires. Presque paumé, puisqu’il n’y a là-bas qu’une cathédrale et moult édifices catholiques. Les jeunes hommes semblent avoir pactisé avec l’autre bord afin de pouvoir tuer le temps au mieux… « C’est leur exclu, leur première date en Europe, et c’est très Electric Wizard compatible » me dit Paul. Les doomsters Sud-Américains ont effectivement programmé une copieuse tournée européenne d’une quarantaine de haltes…

16 heures 49 résonnent les premiers tests. 17 heures, les Argentins attaquent. C’est tribal et le son est dégueu. Autant que les lumières. Le batteur porte un maillot de Boca floqué Parmalat. La basse disto est trop mise en avant. C’est assez fouillis. On entend à peine le chanteur dans son micro. Je m’éclipse pour profiter des derniers (jolis) rayons de soleil. L’attaché de presse Alexandre Saba me tape sur l’épaule en passant. 17 heures 15 et résonne leur morceau de bravoure, sous les vivas. Le public est massé, attentif. Paul me glisse : « C’est super macabre, j’adore ! ». On parlait de Menton tout à l’heure. La cité ensoleillée où s’est réfugié Joseph Joffo pendant l’occupation est réputée pour sa fête du citron. Cela tombe bien, il est 17 heures 25, et il me presse de me rendre à l’espace-presse, parler avec Clément de Wormsand en interview. J’y croiserai plus tard dans la soirée les gars de Mephistofeles. De chics types.


« Backin’ the Daze »

 

18 heures 08 : Bjork Brant, le légendaire gentil freak, procède à la balance, pendant qu’une partie des festivaliers se restaure, et que l’autre acclame avec humour ses « One, Two, Motherfuckers… » Au fait, mention très-très bien décernée au stand de gâteaux faits maison, dont les fonds seront reversés à la protection des animaux, plus précisément à l’association Urgence Maltraitance Animale (UMA). Une noble cause. J’annonce la couleur : je me suis rendu à Vallet, afin de voir en live le Brant Bjork Trio. Dans l’immédiat, le bigleux rajuste ses lunettes et se passe la main dans les cheveux. Il est 18 heures 14, les lumières s’éteingnent, et ce mélange de Big Jim Martin, de Cheech & Chong et de Phineas T. Phreak, épaulé par ses amis, le batteur Ryan Güt et le bassiste Mario Lalli, attaque le Westill. C’est chaud, ça opine de l’occiput aux premiers rangs… La dernière création de ce faux nonchalant et véritable workalcoolic (plus de trente-cinq albums à son actif, en trente-cinq années de parcours) remonte à septembre 2024 : Once Upon a Time in the Desert, (qui comme son nom l’indique est) un concentré de desert rock cool, où nombre de gentilles sonorités hendrixiennes viennent nous rappeler la spontanéité des premiers RHCP. Premier solo façon Jimi à 18 heures 20, sur sa strato. Canon. Pendant ce temps, Mario Lalli tricote des lignes de basses de façon maniaque, le dos voûté, presque maladif. Les premiers rangs bougent de la tête et vibrent, à peu de choses près c’est Monterrey à Vallet. Ovation à 18 heures 24. Nous avons droit là à une incontestable démonstration de rock californien. Son chant n’est pas très bavard. En général deux ou trois syllabes par mesure. On est loin du phrasé volubile de Courtney Taylor sur « Bohemian Like You » des Dandy Warhols. En tous cas, il bende avec talent comme Hendrix.

18 heures 28, et le public tape dans ses mains. C’est une sorte de boucle à la « Gloria ». Nouveau solo brûlant. Je me retourne : derrière moi, la salle est cette fois pleine comme un coco. Non loin du bar, un jeune freak à casquette trucker remue gentiment de la tête. 18 heures 34 : c’est le nouveau hit « Backin’ the Daze ». Les têtes ne cessent de remuer, tout en faisant sagement et poliment la queue. Étant désormais loin de l’estrade j’enlève mes protections auditives. Plus loin, le stand de merch du festival ne chôme pas. C’était la deuxième fois que je voyais en concert le gentil freak légendaire. La première, c’était à midi, le vendredi de la seconde semaine de la gigantesque édition 2022 du Hellfest. Il s’était produit avec Stöner, le supergroupe qu’il avait fondé en 2020 avec l’adorable Nick Oliveri, autre légende du desert rock, ainsi que le fidèle Ryan Güt. Groupe également à re-découvrir ou découvrir… « Pour moi y’a pas vraiment de sous genre dans le stoner, il peut y avoir des thématiques comme la sorcellerie, l’espace ou la drogue mais ça n’en fait pas des genres pour autant. Juste y’a des sonorités plus inspirées du doom, du blues, du rock psyché selon les influences de chacun quoi. Qu’est-ce que tu en penses ? », m’écrivait Paul sur Signal le 25 septembre dernier. « Intéressant », lui répondis-je, avant d’ajouter : « À creuser ». C’est important d’avoir un ami comme Paul. Il vit stoner. Il le conçoit bien. Et les mots pour le dire lui viennent aisément. On a toujours besoin d’un plus érudit que soi, écrivait je crois Molière… Parce que c’était lui, parce que c’était moi, Paul m’assiste dans ce périple au cœur de la stonitude tel La Boétie conseillant Montaigne, ou Monsieur Spock épaulant (guidant même) le capitaine Kirk… Il est 20 heures, nous nous sommes rendus au très sympathique et accueillant espace-presse du Westill, et nous questionnons de concert le grand et affable Brant Bjork.


« Polk Salad Annie »

 

Deuxième ville du Royaume de Suède, Göteborg me fait un peu penser à Lyon, les bouchons, l’architecture classique et la douceur de vivre en moins… Je sais, pour avoir questionné pas mal d’artistes rock et metal suédois, qu’une rivalité travaille les deux principales agglomérations de la contrée de Nils Holgersson… Pour l’instant, l’avantage numérique et qualitatif m’apparaît stockholmois… Même cumulés, les brios et les renommées des gothembourgeois d’In Flames, At the Gates (repose en Paix Tompa), Dark Tranquillity, HammerFall, Amaranthe, voire d’Ace of Base, ne contrebalancent pas tout à fait la puissance culturelle de la capitale suédoise… Il est 22 heures, et on va savoir si les hard rockeurs de Graveyard peuvent contribuer à rééquilibrer quelque peu la balance en faveur de Göteborg… 22 heures 04 : Joakim Nilsson (guitare, chant), Jonatan Larocca-Ramm (idem), Truls Mörck (basse, chant) et Oskar Bergenheim (batterie), achèvent leur balance. Puis se lancent à l’assaut. À côté de moi, un petit bonhomme d’un certain âge, sosie de Jon Lord, n’en loupe pas une miette. Gentiment, il me laisse sa place contre l’estrade pour que je puisse shooter (tant bien que mal) les premières minutes du concert. C’est rock. C’est même boogie. La datation au carbone 14, me parle. Nous sommes vers 1968. Je rejoins ensuite le fond de l’espace Champilambart (ce nom est en fait très stoner, non ?!?) Sur ma gauche, un gus porte une veste en jean cintrée avec un patch Turbojugend soigneusement cousu dans le dos. En face de nous, les protégés de Nuclear Blast Records donnent tout ce qu’ils peuvent scéniquement. Ils font le taf. En tous cas, l’audience est captive. Les volets de la salle ont été fermés. Dehors il fait nuit. La pédale wah-wah est omniprésente dans les parties de guitare. C’est très bon.

22 heures 39, ça ressemble grave à un blues de Janis, chanté par des mecs. Ou à un blues de Jimi, joué par des blancs. En tous cas, c’est costaud. Les accords sont finement joués. C’est Suédois 60’s. Pendant ce temps, pas mal de festivaliers vont et viennent. Très chouette fest. Ce blues rock s’achève par un très élégant tourbillon. À la Janis. 22 heures 44 : on dirait un blues tempétueux à la Eric Burdon. C’est très correct. Voire poignant. « Perkele ! », comme diraient leurs voisins finlandais. Le solo tue. Ils sont bons. « Merci ! » à 22 heures 47, avant d’enchaîner sur un autre blues. Un gros « Thank you » sous des ovations à 23 heures 05. Vivas et bravos. Le dernier quart d’heure sera plus rock. Stoogien. Ce coup-ci, les Hives peuvent aller se rhabiller. Final quasi Jamesbrownien à 23 heures 15. C’est gorgé de soul. Au cours de ce chaleureux épilogue, nombre de festivaliers s’agglutinent aux premiers rangs, et observent ; quoique dehors, ça papote à qui mieux mieux… Bienvenue en Loire-Atlantique. Les têtes d’affiche de ce soir se retirent sous une nouvelle et ultime ovation. Paul et moi repassons une dernière fois par la cantoche, tandis que la sono diffuse « Polk Salad Annie » de Tony Joe White. Au fait, l’édition 2025 du Westill affichait complet depuis fin août. Ça, je ne vous l’avais pas encore dit… Vous l’avez compris, cette première journée est une franche réussite !

 

 

Sinon, le deuxième jour est ci-dessous les amis !

Westill – Samedi 1er novembre 2025 – « Extrême-occident »

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