Auteur : Jinjer
Titre : Duél
Label : Napalm Records
Sortie le : 7 février 2025
Note : 16/20
A la sortie du désormais mythique Macro le 25 octobre 2019, j’avais emprunté auprès du poète tabagique Prévert, pour chroniquer que « la brune Tatiana Shmailiuk » growlait « telle une morte de faim » : « De celles pour qui le pain quotidien est relativement hebdomadaire »… J’avais par ailleurs écrit que : « Les quatre du Donbass lorgnent ouvertement sur les USA (ce qui ne manquera pas d’alerter Vladimir Poutine) ». Il s’en est passé des choses depuis… Pour l’observateur lambda, Jinjer est devenu un « label », lui permettant de décrire le style d’autres groupes ayant émergé à leur tour (Infected Rain)… La discographie des Slaves du Sud s’est enrichie en 2021 d’un Wallflowers impeccablement produit mais marquant (à mon avis) quelque peu le pas du point de vue de l’inspiration. Si la rage de la princesse de Donetsk demeurait intacte, le groupe semblait tourner en rond stylistiquement. Hormis « Vortex » et surtout « Mediator », ce quatrième album studio manquait, contrairement à son prédécesseur immédiat, de véritables chansons, celles identifiables entre mille (telles « On the Top », « Judgement (& Punishment) » ou encore le biblique « Noah »)…. Quoi qu’il en soit, la maîtrise musicale et scénique s’étaient notablement renforcées (justifiant la publication l’an dernier du deuxième album live de leur carrière en moins de trois ans), tout comme la présence (médiatique et charismatique) ainsi que la babylonienne garde-robe de l’ombrageuse Tati… C’est dire si, à l’unisson de dizaines de milliers de fans à travers le globe, je guettais avec intérêt la sortie du cinquième album de Jinjer, au doux nom de Duél…
Au premier abord, la pochette me semble assez quelconque, pas spécialement à la hauteur de la renommée actuelle du combo… Et musicalement ? Pas d’instrumental acidulé ce coup-ci pour immerger progressivement l’auditeur dans le bain, Duél démarre sur les chapeaux de roue par un « Tantrum » (« Colère ») des plus féroces, tempéré par une doucereuse parenthèse « arpèges à la basse – vocaux » intervenant aux alentours de 2 mn 20… L’opus sera clos par l’éponyme « Duél », à la rythmique tantôt martiale – tantôt abyssale sur des couplets (mi-Sepultura mi Black Label Society) et syncope de caisse claire saccadée lorsque surviennent les refrains. Comme auparavant, les trois males instrumentistes font tout du long des onze morceaux corps derrière leur teigneuse patronne. Si le virtuose Eugene Abdiukhanov n’en fait (une fois de plus) guère des tonnes à la quatre-cordes, il me semble que les multiples roulements de Vlad Ulasevich s’émancipent de-ci de-là de la masse collective, témoignant ainsi d’une certaine montrée en puissance technique du batteur. Une fois de plus, le taiseux guitariste Roman Ibramkhalilov est mis à un régime sec à occire un Johnny Ramone : pas un seul solo sur ces 40 minutes et 93 secondes d’enregistrement. Tati quant à elle ne cite pas Prévert, mais intitule « Kafka » la sixième chanson du disque (présentée en avant-première au public parisien en octobre dernier). Une autre personnalité de l’ex-Europe de l’Est (d’ailleurs : salut à mon pote Petr de Osek en Tchéquie, un mordu historique de Jinjer !) à laquelle Tati Booyakah compare sa plume de façon mélancolique en anglais et en allemand (« Absurde de mon existence / J’ai mal à cause de la persistance / Le stylo va fendre le cœur / Le stylo va fendre le cœur / Le vide va saigner. Das Nichts! »), dans une complainte lente puis lourde, (très) proche de « Pisces » ou de « Perennial ».
Sinon, « Hedonism » superpose accords abyssaux et quasi-suppliques de Tatiana, « Rogue » (également dévoilée au Zénith parisien à l’automne dernier) dégage des parfums hardcore et indus, « Tumbleweed » minaude (l’influence initiale de Gwen Stefani sur les passages clairs semble, soit dit en passant, désormais dissipée) puis gronde férocement, « Green Serpent » papillonne puis tonne… Il serait peut-être temps de jeter aux orties le sempiternel schéma dit « zeppelinien », qui constitue l’immuable matrice de la majorité des compos… Ce sera, j’ose supposer, pour la prochaine fois… En bref, et à défaut d’emprunter d’autre sentiers, Jinjer fait du Jinjer ; s’il ne présente aucune surprise, cet LP studio n’a toutefois aucunement à rougir de la comparaison avec ses quatre devanciers. Nous avons en définitive affaire à une formation au sommet de son art, et qui a visiblement pleinement conscience de l’être. Il s’agit d’un album de qualité, magistralement produit, idéal pour les badauds, les curieux et autres néophytes… Après avoir enflammé la Dave Mustage du Motocultor 2024 le samedi soir (à la lutte avec le terrible Bernard Minet, convient-il de préciser…), les quatre du Donbass figurent cette année en tête d’affiche de l’Altar du Hellfest le jeudi 19 juin… Espérons que cette fois-ci les plombs ne sauteront pas comme en 2022 ! Jinjer effectuera au préalable une tournée asiatique / océanienne de seize dates du 6 février au 3 mars (Morgan Lander et son Kittie en support !), avec incursion le 15 février au Musinsa Garage de Seoul. La capitale de la Corée du Sud (à l’instar de Taipei et de Manille, qui seront également de cette fête itinérante) étant traditionnellement ignorée par les groupes de metal, cette ultime info, qui témoigne de la nouvelle stature mondiale du quatuor Ukrainien, méritait d’être ici relayée…