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Interview avec Thomas Thirrion aka L’Amiral

samedi/06/04/2019
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thomas thirrion

Thomas Thirrion, ancien chanteur du groupe AqME, devenu tatoueur chez Tin-Tin tatouages a accepté de se livrer sur son parcours et sa prochaine réunion avec le groupe lors du concert qui aura lieu le 5 octobre au Trianon.

Art N Roll : En 2012 tu quittes le groupe AqME au sein duquel tu étais fortement impliqué sur la partie visuelle, pour ensuite devenir tatoueur. Tu avais déjà ce projet avant de partir ?

Thomas : Ça faisait un moment que l’idée avait germée dans mon esprit, à partir de mon premier tatouage je dirais. J’ai trouvé ça fascinant et je me suis demandé ce que ça ferait de se retrouver derrière la machine. En 2012, à la fin de l’enregistrement d’« Epithète, Dominion, Epitaphe » je me suis dit qu’il fallait que je me lance. Je ne te cache pas qu’avec le groupe c’était compliqué, on en vivait plus, ça demandait de gérer le boulot à côté et surtout j’en pouvais plus du taboulé au poulet que tu as dans toutes les salles (rires). J’en avais aussi marre de sentir la chaussette dans le camion, donc j’ai voulu me lancer dans le tatouage. Je me suis remis à dessiner et j’ai osé partir en apprentissage.

ANR : C’est un apprentissage qui donne lieu à un certificat, un diplôme ? Ça se passe comment ?

Thomas : Tu fais ton apprentissage dans un shop où tu fais l’esclave. Tu nettoies les toilettes, tu fais à manger, tu prépares les postes, tu fais la stérilisation et tu apprends au fur et à mesure. Ça a duré un an et après je me suis lancé.

ANR : Tu as commencé en tatouant des proches ?

Thomas : Au départ, quand tu as des cobayes c’est effectivement des potes. Tin Tin ne veut pas qu’on tatoue sur de la peau de porc ou sur de la peau synthétique. Tu dois gérer la douleur et gérer ton client. J’ai fait mes premiers tatouages sur des potes comme Vince de Vegastar et d’autres personnes de la musique.

ANR : Ton premier tatouage c’était quoi ?

Thomas : C’était cette très très belle lame de rasoir sur le poignet, pleine de signes avec ses pointillés, pour l’appel au secours et l’acte définitif. Je le ferai très certainement recouvrir un jour. Ce qui m’a donné envie c’est celui que j’ai fait faire au dessus avec Sacha. Il m’a fait les zombies et la forêt.

ANR : Comment tu définirais ton univers ?

Thomas : Je ne sais pas, il y a du graphisme, du réalisme, je n’aime pas rester dans un truc défini. Je fais parfois des choses très sombres et parfois je vais réaliser quelque chose avec de la couleur. J’aime bien travailler les textures, la matière et faire des choses un peu éclatées.

ANR : J’ai sélectionné quelques-unes de tes œuvres qui m’ont marquées :

Thomas: Le réalisme ce n’est pas mon style en tatouage, mais je trouve qu’à le faire c’est l’éclate.

ANR : Ce que j’aime sur ce tatouage c’est l’expression de son regard.

ANR : Tu arrives sur cette rose à faire ressortir une texture proche de celle du velours, un peu de mouvement et des contrastes intéressants sur les couleurs.

Thomas : Merci, c’est effectivement ce que j’essayais de faire.

ANR : Ici on reconnaît vraiment ta patte avec cette impression d’utiliser un pinceau, et d’avoir des gouttes de peinture autour, c’est captivant.

Thomas : Mais c’est ça. Au départ je fais des tâches de peintures sur du papier qui vont dans des directions et après je reconstruis pour faire une rose, un corbeau, enfin ce qu’on me demande de faire. J’adore reproduire de la matière, que ce soit les tâches tout autour ou à l’intérieur du dessin où il se passe plein de choses.

ANR : Sur celui-ci ce j’aime beaucoup l’expression que tu donnes au personnage. Cet air de défi, avec une bouche mutine, un nez un peu retroussé et une posture de femme forte.

Thomas : Il y avait effectivement quelque chose de défi, de femme forte. J’aime bien faire des portraits de femme très contrastés. Je prends trois ou quatre photos pour que la fille ne soit pas reconnaissable.

ANR : Pour un projet comme celui-ci, le client te propose une idée et tu la retravailles ? A quel point es-tu libre du point de vue artistique ?

Thomas : Oui la personne dit « je veux une tête de femme, j’ai vu que tu faisais des trucs éclatés derrière, je veux que les cheveux soient comme des traces de marqueurs » et après elle me laisse faire.

ANR : Le client est souvent content ?

Thomas : Le client est souvent content oui (rires). J’ai eu une seule fois un client qui m’a envoyé un message après pour me dire « ce n’est pas du tout ce que je voulais ».

ANR : Côté grande fresque il y a un bel exemple avec ça :

Thomas : Je l’ai fait sur le dos d’un fan d’AqME, Jo. C’est marrant j’ai tatoué pas mal de fans d’AqME. Celui-ci s’est fait en trois quatre séances. Il a fallu tracer tous les zombies d’un coup, puis ajouter les détails avant de passer au noir et au gris. Il y a des choses qui étaient passées à cause de l’acidité de la peau de la personne.

ANR : Comment fais-tu pour continuer de te challenger techniquement et pour progresser sur ces effets de matière ?

Thomas : J’essaie de prendre des pièces de plus en plus compliquées, les détailler plus. Tu vois le gravier par terre, je prends une photo, je la contraste au maximum et ça me fait une texture un peu bizarre. Ça reste rangé avec une horizontale et une verticale, mais si tu le mets sur un torse ça peut donner quelque chose de rigolo.

ANR : Tu es arrivé dans le monde du tatouage à une époque où c’était vraiment le boom. Si le courant devenait mainstream, le milieu devenait aussi extrêmement concurrentiel, comment l’as-tu vécu ?

Thomas : Il y avait effectivement beaucoup de concurrence. J’ai réussi à montrer que j’étais motivé, j’ai eu la chance de faire mon apprentissage et de bosser encore chez Tin Tin. Il y avait des gros noms du tatouage et j’ai appris plein de choses. Je voyais des personnes qui venaient chercher un apprentissage toutes les semaines, j’avais peur pour ma place. Il ne fallait pas déconner, mais avec le boom j’ai été très vite sur le devant de la scène. J’ai un peu profité de la lumière des autres au début avant de faire mon propre trou.

ANR : Quel est ton rapport avec Tin Tin ?

Thomas : Très bon. C’est quelqu’un qui a du caractère, de temps en temps ce n’est pas facile. C’est un homme bien, qui comme moi n’arrête pas de sortir des conneries donc on s’entend bien (rires). Je crois que si tu bosses chez Tin Tin tu as intérêt à être un peu con sinon c’est compliqué. C’est un peu les grosses têtes avec un humour de papa. (rires)

ANR : Tu fais une forme de sélection des personnes sur qui tu travailles ?

Thomas : Oui, si le projet ne me parle pas je ne vais pas l’accepter. Je pense qu’il y aura une autre personne qui le fera mieux que moi. Quand on vient me demander du tribal Maori, je ne connais pas les codes et ça me fait chier de faire les lignes et les petits dessins (rires).

ANR : Est-ce qu’il y a un lien spécial qui se crée avec la personne que tu tatoues ? Est-ce que tu ressens de la pression quant à la douleur que tu peux infliger ou résultat qui peut ne pas être apprécié ? C’est tout de même une partie de toi que tu donnes à une autre personne.

Thomas : C’est effectivement plus la pression du dessin et du travail que celle de faire mal. La personne qui vient sait qu’elle va avoir mal. J’essaie de faire quelque chose pour qu’elle ait moins mal. Je fais pas mal de blagues et ça marche pas mal. Récemment j’ai fait des pièces de 6h sur des flancs, et certaines personnes m’ont dit que ça passait nickel. Je trouve important que la personne soit à l’aise. S’il n’y a pas le feeling tu ne mets pas la même implication dedans.

ANR : L’inspiration te vient aussi de ce que projette la personne.

Thomas : C’est ça, mais ça dépend aussi de ce qu’elle demande et de ce que j’ai envie de faire à ce moment-là. J’adore faire les corbeaux tâches, mais quand je dois en faire plein dans une semaine j’en ai marre et j’arrive à un point où je ne veux plus en faire. Puis je retrouve l’envie.

ANR : Pour stimuler ton inspiration tu t’intéresses à d’autres artistes, qu’ils soient tatoueurs ou non ?

Thomas : J’adore Pinterest, c’est une super idée. J’y étais au début, je trouvais que c’était sélectif et que ça te montrait des choses que tu n’aurais pas vues autrement. J’adore m’ouvrir les yeux, je regarde beaucoup de films, de séries, d’images… je vais moins aux expos parce que je trouve qu’il y a trop de monde et je suis devenu agoraphobe avec le temps. (rires) J’aime me demander comment techniquement je pourrais reproduire le truc.

ANR : Qu’est-ce qui t’a marqué récemment ?

Thomas : Pas grand-chose, en ce moment je m’emmerde un peu.

ANR : Tu as passé beaucoup de temps sur scène, à la rencontre du public, est-ce que ça te manque ?

Thomas : L’avantage du métier de tatoueur c’est que tous les jours je crée un nouveau truc et je suis au contact direct avec les gens. Le seul truc qui me manque vraiment c’est de pouvoir crier. C’est un exutoire, c’est le premier truc que tu fais quand tu nais. Je pense que j’ai besoin de ça. Du coup je fais chier tout le monde au shop, je chante et je fais n’importe quoi. (rires)

ANR : « Epithète, Dominion, Epitaphe », le dernier album enregistré avec AqME marque par son côté décomplexé au niveau de la composition. On sent une vraie prise de risque. Le niveau d’écriture des textes est plus élevé, pareil pour le chant. Tu étais monté d’un cran, il y a plus de nuance dans ta voix comme dans « Plus tard vs trop tard »…

Thomas : C’est un morceau que j’ai fait pour mon papa.

ANR : Il m’a beaucoup touché, c’est un de mes morceaux préférés avec « 110.587 ».

Thomas : Moi aussi, et j’adore « 110.587 », la fin du morceau avec le riff monstrueux de Julien… c’est fou..

ANR : Oui, le texte est beau, la montée en puissance sur le chant comme l’instrumental est saisissante, et le final tire sur du post-metal, c’est un grand morceau.

Thomas : On avait vraiment ces influences.

ANR : La question que je voulais poser, c’est si tu savais en participant à cet album que c’était la fin et ça t’a libéré ? Qu’est-ce qui se passait dans ta tête à cette période ?

Thomas : Il a été horrible à écrire, on a repoussé la sortie d’un an et demi parce que je n’étais jamais satisfait des textes. Je ne sais pas écrire, je ne suis pas un littéraire. Pour moi c’était comme un dessin, les mots ont des couleurs et j’ai essayé de donner une sensation. J’essaie d’écrire comme je dessine avec des mots que je trouvais jolis. Pour cet album ça a été un calvaire. Pour le chant, merci pour ces mots gentils, j’avais effectivement envie d’aller plus loin. Je voulais montrer que je n’étais pas si mauvais que ça.Quand on a fait « Sombres efforts » je n’avais jamais pris un cours de chant de ma vie.

ANR : Ca s’entend un peu (rires)… pardon !

Thomas : Mais c’est vrai que ça s’entend ! On a travaillé avec Daniel Bergstrang et il me disait en studio « chuchote, comme ça ce sera à peu près juste ! » (rires). Mais j’en ai pas honte, ça faisait partie du truc. Grâce aux Enhancer, Pleymo et les autres on s’est retrouvés sur une scène en France et on en a bien profité.

ANR : Ces défauts sur le chant et sur l’écriture c’est aussi ce qui faisait votre force et vous donnait ce caractère unique, authentique. Tu te livrais tel que tu étais.

Thomas : Je suis un vrai fragile (rires). M’habiller en noir, avoir des tatouages partout, je suis un vrai fragile.

ANR : C’est un aspect touchant qu’il y avait dans le groupe.

Thomas : C’est vrai, c’était l’identité d’AqME. Ce qu’on a fait on l’a fait avec tout notre cœur et toute l’honnêteté qui va avec.
Etienne a toujours été à 200%, Julien comme Ben se trituraient l’esprit pour trouver des riffs et Charlotte a toujours essayé de pousser son son.

ANR : Quand tu es parti et quand Vincent a pris la place de chanteur est-ce que ça t’a touché de le voir chanter des textes qui t’étaient aussi personnels, sur lesquels tu avais livré une partie de toi ?

Thomas : Je l’ai juste entendu chanter « Superstar », mais j’ai vraiment laissé le groupe de côté et ça ne fait que depuis un an que je réécoute un peu du AqME. Ce que je racontais je pense que tout le monde le vivait, mais différemment. Vincent les chante à sa manière. Je suis très content qu’il ait pris la relève, mais je suis aussi très content que le groupe s’arrête parce qu’il est temps.

ANR : Comment as-tu appris que le groupe s’arrêtait ?

Thomas : Quand ils m’ont demandé de venir chanter au Trianon. Vincent m’a envoyé un message pour me dire qu’ils voulaient me parler avec Etienne. Je m’attendais à tout sauf à ça: une demande pour chanter avec eux et l’arrêt du groupe. Je trouve classe qu’ils partent en laissant un dernier album.  J’aurais bien aimé chanter sur le dernier album. Je leur dis ça comme ça. Juste pour faire le couillon d’ailleurs. (rires)

ANR : Tu as dit oui tout de suite à cette proposition ?

Thomas : J’ai dit oui tout de suite, mais je leur ai aussi dit que je n’avais pas chanté depuis 8 ans, que ma condition physique n’était pas la même. Je n’exclus pas de mourir sur scène (rires). C’est pas impossible que je fasse un AVC ou quelque chose. Je n’ai jamais réussi à me retenir et surtout pas sur scène.

ANR : Tu vas avoir un droit de regard sur les chansons que tu vas chanter ?

Thomas : On en discute, ils ont une playlist, et le truc exceptionnel c’est que ce sera un très long concert. Ce sera peut-être un peu chiant pour les gens mais nous on va kiffer. (rires) Ils nous ont demandé à Ben et à moi de choisir trois chansons. Je ne sais pas si on va les faire mais on a choisi trois chansons. Je vais pas mal participer, même si on ne me le demande pas. D’ailleurs c’est la première fois de ma vie que j’ai demandé à avoir un micro HF sans fil pour pouvoir aller voir les gens dans le public et aller faire n’importe quoi. J’aimerais que ce concert soit un peu comme à l’Olympia où les gens étaient contents de nous voir là et nous étions contents d’être là aussi. C’était un concert magique et j’aimerais retrouver cette fusion entre le groupe et le public.

ANR : Cette interaction avec le public s’entend bien dans votre disque live.

Thomas : Oui, sûrement, je ne l’ai pas écouté depuis sa sortie (rires). Ca me rappelle quand on a fait la première partie de Rammstein à Amneville. C’était immense, il ne fallait pas bouger parce qu’il y avait des trucs qui pouvaient exploser dans tous les sens. Les gens ne nous appréciaient pas forcément alors je ne les appréciais pas trop non plus. Je leurs ai dit qu’il n’y avait pas Rammstein ce soir, que c’était que nous, et que c’était comme ça (rires). Tout le monde m’a détesté, et y’a des gens qui m’ont dit « t’es vraiment qu’un sale con, mais du coup je t’aime bien » (rires). Et on s’est retrouvés avec des fans de Rammstein qui ont commencé à nous écouter.
Dans l’Est on a eu une ligue anti AqME qui était venue avec des T-Shirts anti AqME. Je suis descendu de scène en chantant. Je suis allé les voir et pendant que je chantais j’ai déshabillé un des mecs, j’ai mis son T Shirt et je suis remonté sur scène avec son T-Shirt anti AqME. Il est venu me voir à la fin du concert pour que je le lui dédicace.

ANR : Et tu l’as fait ?

Thomas : Non. (rires) Je suis un connard jusqu’à la fin. (rires)

https://www.instagram.com/thomas_l_amiral/

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