HOT on the rocks!
Interview de Qamelto (jeudi/04/04/2024)
Interview de Myrath (jeudi/07/03/2024)
Interview de abduction (mardi/19/12/2023)

Interview de David Thiérrée

lundi/05/06/2017
2 003 Views

Art n’ Roll a interrogé David Thiérrée à l’occasion de la sortie de son livre « Owls, Trolls & Dead Kings’ Skulls : The Art Of David Thiérrée » en collaboration avec Dayal Patterson, le 31 Mai 2017 chez Cult Never Dies.

 

Art n’ Roll : Tout d’abord, tu cites de nombreux artistes qui t’ont inspiré au début de ton parcours de dessinateur. Il s’agit surtout d’artistes récents. Est-ce que d’autres périodes t’intéressent également ? Je pense au mouvement pré-raphaélite ou au décadentisme par exemple…
David Thiérrée : J’apprécie beaucoup le préraphaélisme, beaucoup moins le décadentisme, et en effet, en dehors de la gravure ancienne (médiévale et Renaissance), je suis plutôt tourné vers l’âge d’or de l’illustration (1870 – 1940, pour faire large) et l’ Art Nouveau. En dehors de ces périodes, la transition sera opérée aux Etats-Unis par les illustrateurs de l’ « Americana » traditionnelle (publicités, pin-ups, héritiers de Leyendecker et Rockwell, les premières équipes d’artistes Disney), puis par Frazetta, et enfin le « Studio » (Jones, Wrightson, Kaluta, Windsor-Smith, Vess) et d’autres comme Stephen Hickman, Tom Kidd, Richard Hescox, Don Maitz, Mike Ploog, qui travailleront ensuite parmi d’autres (en Angleterre également), au renouveau de l’Heroic-Fantasy des années 70-80. Après cette dernière période, les artistes que j’apprécie deviennent très rares.


AnR : Est-ce que tu peux nous décrire ton parcours en tant que dessinateur et ce que tu ferais autrement si tu pouvais ?
DT : Je ne sais pas si je ferais les chose différemment, parce que chaque élément du parcours, qu’il soit bon ou mauvais, a contribué à faire ce que je suis maintenant. Si les choses avaient été faites différemment, je serai probablement différent.
J’ai commencé à dessiner tôt, comme tout le monde, mais j’ai continué après l’adolescence, ce qui est moins fréquent (peut-être un peu plus aujourd’hui avec les boutiques de loisirs créatifs partout, les galeries en ligne, et cette fâcheuse manie de considérer que tout ce que votre enfant produit est absolument génial). En tout cas, c’était moins fréquent à la fin des années 70. Après, il a fallu succomber autant que je le pouvait à ce besoin impérieux de dessiner, tout en ayant une vie somme toute ordinaire. J’ai essayé une école de Beaux-Arts, où je pensais apprendre quelque chose. J’ai fui au bout de quelques mois : tout ce que l’on voulait m’apprendre, c’est comment faire de la merde contemporaine et bien la vendre. Je voulais apprendre à dessiner. J’ai donc continué ce que je faisais le mieux : apprendre tout seul.
Après dix-neuf ans d’usine, trois enfants, j’ai profité de l’explosion en vol de ma cellule familiale pour changer de voie, quitter mon travail, et essayer de vivre du dessin, en tablant sur le minuscule réseau que j’avais pu conserver à l’époque.

AnR : Tu as évolué depuis tes débuts, tes dessins sont moins sombres. Est-ce que tu pourrais revenir à moins de féerie, plus de noirceur pure ? Ou est-ce que ta vision est différente de ce qu’elle était à l’époque où tu dessinais pour les groupes de Black Metal?


DT : 
Sombres, ils le redeviennent, depuis six ou sept ans. J’ai essayé au début des années 2000, de travailler des thèmes moins haineux, plus féeriques, mais sans grande satisfaction. J’avais plus le sentiment de tenter de mettre un costume qui n’était pas à ma taille, et qui de surcroît ne m’allait pas très bien au teint. J’ai fait mouche à quelques occasions, j’ai beaucoup appris, et j’ai fait de belles rencontres au cours des festivals auxquels j’ai participé. Mais j’ai toujours pu difficilement m’intégrer, dans un univers qui devenait de plus en plus ridicule, et noyauté par des gens qui déguisent sous des oreilles en plastique, un corset, un chapeau à lunettes ou une volute peinte sur le visage de pauvres exemples de loisirs créatifs, du dessin à la rue, sans parler d’une notion toute relative des droits d’auteur.
J’ai quelques très bons amis qui continuent leur route dans ce marasme, et j’admire leur zénitude et leur détachement.
Je n’ai jamais changé, en fait. Je suis juste revenu aux sources. Ma vision n’est pas différente, j’ai juste plus de culture de l’image, et acquis plus d’aisance et de technique, que je mets au profit des groupes qui veulent travailler avec moi.

AnR : Est-ce que ta région, la Bretagne, nourrit ton art ou est-ce que c’est juste une région comme une autre pour toi?
DT : Je suis arrivé en Bretagne après avoir vécu très longtemps en Charente-Maritime, par une succession de hasards. J’aurais pu débarquer dans une autre région, ce pays ne manque pas d’endroits magnifiques. Je pensais, en venant en Bretagne de temps en temps, que j’allais y trouver une inspiration, mais la magie n’a pas opéré. J’étais trop habitué à dessiner dans des endroits absolument pas inspirants et dans des conditions déplorables. Je n’ai pas senti de « libération » de mon potentiel créatif, ou quelque chose que ce soit.
Par contre, j’ai changé de compagne, de rythme et de mode de vie, d’amis, et je suis plus près de la nature que je ne l’ai jamais été. Moins de pollution sonore et visuelle, aussi. C’est le plus important. Après, la Bretagne, le Celtisme, je préfère laisser ça aux gens d’ici, qui font ça bien mieux que moi, et avec plus d’authenticité.


AnR : Tu parles du fait qu’en parallèle de ton travail chez un imprimeur industriel, tu ne pouvais pas t’empêcher de dessiner. Ça change du cliché de l’artiste maudit, dédié entièrement à son art mais extrêmement vulnérable. Est-ce que tu penses que tu aurais pu créer sans le filet de sécurité d’un salaire ?
DT : J’aurais dessiné de toute façon, oui. Je suis contre l’idée de l’artiste maudit. Si vous ne pouvez pondre quoi que ce soit de pertinent, pensée, émotion, écriture, musique ou dessin sans prendre de drogues, vous bourrer la gueule, ou vous suspendre par le peau des couilles, changez de métier. C’est comme pour obtenir un orgasme. S’il faut des bougies, de la musique, un miroir au plafond, et des draps en satin pour arriver à jouir, changez de partenaire.
L’art, ça doit vous sortir par tous les trous, sans efforts, sans rien chercher ou demander. Si ça n’est pas le cas, c’est que vous êtes faits pour autre chose : vendre des bagnoles, devenir berger, instituteur, il n’y a pas de sots métiers.
Le salaire était le moyen de subvenir aux besoins de ma famille, et suite à ma séparation, j’ai franchi le pas et cessé de travailler pour les autres. Depuis, je me débrouille bon an mal an. Je suis fragile d’un point de vue financier, toujours en flux tendu, mais je m’en fous, je dessine.

AnR : Tu sembles très prolifique, quel est ton rythme (travail tous les jours, toute la journée, ou plus sporadique)? Est-ce que tu as des moments de pause, ou même de page blanche ?
DT : Je travaille à peu près tous les jours et ça n’est pas assez. Si je veux devenir meilleur, je dois me discipliner davantage, et avoir un rythme de travail plus dense. Je suis encore débutant, ignorant de tant de choses, et je suis encore très, très loin de ce que je voudrais faire d’un point de vue graphique.
Pas de page blanche, jamais. Des pauses ? Oui, souvent, puisque je fais souvent autre chose en dessinant : Hearthstone, téléphone, voyage en train, café en terrasse, musique, discuter, manger… Le dessin vient tout seul, mon cerveau peut se consacrer à autre chose pendant ce temps-là.

AnR : Tu parles du voyage que tu as fait à un moment de ta vie où tu as quitté ton boulot chez l’imprimeur industriel, ta famille… Ce voyage semble initiatique. Est-ce que les voyages font partie de ce qui inspirent tes dessins ?
DT : J’ai fait un Burn-out, et je ne suis pas allé bien loin. Je voulais prendre un avion pour la Scandinavie, puis, un train, puis un bus, puis continuer à pied, puis crever de froid dans un coin. Je me suis dit que j’avais encore deux-trois choses à faire avant, et trois enfants qui auraient peu apprécié ce moment de branlette égoïste à la « Into the wild ». Je suis donc revenu, et j’ai repris ma dépression à bras-le-corps, sans médication, sans drogues, j’ai bien tout ressenti, tout pris dans la gueule, et je suis remonté des tréfonds . Comme dit l’autre « Rock bottom is a solid foundation ».
9 ans plus tard, j’ai refait le même parcours, pour exposer lors d’un festival en Norvège. Je suis parti dans la forêt, je me suis éloigné des routes de promenades, j’ai marché avec de la neige jusqu’aux genoux, le casque sur les oreilles, le visage fouetté par les flocons. J’ai continué à marcher, j’étais seul, et j’avais le choix. En fait, j’étais tellement heureux, là, au milieu de nulle part, là-haut, dans ce tourbillon blanc, que je me suis dit que j’aimerais revivre ça plusieurs fois. Je suis donc redescendu, j’ai secoué mes bottes et j’ai pris un bon café.

AnR : Tu vis actuellement à La Gacilly je crois, le lieu est connu pour Yves Rocher et plus récemment, pour son Festival de photos. Est-ce que par hasard ça aurait un rapport avec ton choix de cette ville ?
DT : Aucun. Virginie Ropars, ma compagne, est une artiste, sculpteur, et vit ici. Je l’ai rejoint, et j’ai emménagé dans une maison proche de la sienne.
Beaucoup de choses tournent autour du groupe Yves Rocher ici. Ça a ses avantages (de bonnes infrastructures pour un si petit village), mais aussi ses inconvénients, surtout depuis que Yves Rocher est mort, et que le festival photo a pris sérieusement le dessus sur l’artisanat. Yves Rocher, fils de drapiers, a contribué, comme mécène, a fait de La Gacilly un village d’artisans. Il a énormément contribué à les faire vivre et à leur amener des visiteurs. La politique du maire actuel est différente : promouvoir le festival photo et l’art contemporain. Avant, les gens venaient de tout le pays pour visiter les ateliers, maintenant, ils viennent regarder les photos, mangent une crêpe, une glace, et filent à Rochefort-en-Terre. Ils ne rentrent guère plus dans les ateliers, qui sont devenus chers, et qui ne bénéficient presque plus du soutien nécessaire à leur survie. L’intégralité de la promotion est centrée sur le festival photo, et, contrairement à ce que l’on pourrait penser, la photo n’aspire pas le public vers les ateliers, bien au contraire. Les gens sont idiots et mono-tâche. Si vous leur dites « venez voir les photos », ils ne verront rien d’autre. C’est d’autant plus cruel que le festival photo s’est monté justement à La Gacilly parce qu’il était blindé de monde toute l’année grâce… aux artisans.

AnR : Tu évoques ta compagne Virginie et l’influence qu’elle peut avoir sur ton travail. Est-ce que vous avez des créations en commun ?
DT : Pas vraiment. Elle a fait une pièce ou deux qui s’inspiraient de mes dessins, mais pas de manière aussi directe que ce qu’elle a pu faire avec Brom ou Olivier Ledroit.
Elle m’a apporté beaucoup de conseils au début de notre relation, car elle avait plus d’expérience en tant qu’artiste indépendante. Elle m’a appris aussi à avoir un autre regard, et mieux comprendre comment canaliser et nourrir mes sources d’inspiration, bâtir mon univers intérieur, et m’y sentir bien. Pas de foutaises de coaching New-Age ici, soyons clairs : il s’agit de mieux digérer ses influences artistiques, savoir classer un peu tout ça dans sa tête, pour mieux en sortir sa propre vision.
Nous évoluons chacun de notre côté, et de temps en temps participons à un même événement. Notre relation amoureuse est basée sur le dialogue et un soutien mutuel, chacun soutient l’autre lorsque le besoin s’en fait sentir. Nous partageons nos visions sur l’art, nos découvertes, nos critiques…

AnR : Le livre a été écrit avec Dayal Patterson, comment c’est fait la collaboration avec lui ? Comment s’est goupillé le projet au départ ?
DT : Très simplement, nous discutions chez un ami commun sur Facebook, et ensuite Dayal m’a invité. Nous avons ensuite fait connaissance, petit à petit. Il y a deux ans, il m’a demandé si j’étais intéressé par un projet d’ouvrage sur mon travail. Nous ne savions pas encore comment concrétiser, en termes de format, d’approche, de style rédactionnel. Nous avons pas mal hésité et avons conclu que le mieux a faire était de suivre le style narratif et la charte graphique de ses ouvrages précédents. Le format est plus grand que ses précédents livres, mais la qualité de papier et d’impression restent les mêmes. Les gens qui apprécient son travail ne seront pas dépaysés. Une fois que Dayal a commencé à envoyer ses questions, j’ai débuté le long processus d’envoi des images… Au fur et à mesure qu’il recevait et classait mes images, et recevait les réponses à ses questions, tout a pris forme dans sa tête. La finalisation et la mise en page du livre ont été très rapides, mais le processus de maturation a pris presque deux ans.


Merci !

Tu peux retrouver David Thiérrée sur le net :
Site web : www.davidthierree.com
Page Facebook : https://www.facebook.com/davidthierreeartwork/
Page Facebook du livre : https://www.facebook.com/ArtOfDavidThierree/

Le livre est en vente en ligne  : https://cultneverdies.myshopify.com/collections/all/products/pre-order-31-may-owls-trolls-dead-kings-skulls-the-art-of-david-thierree-book-shirts

Leave A Comment