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Interview avec Alain Gardinier

samedi/29/10/2022
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Le premier Rock’n’Folk que j’ai eu en mimines, c’était le numéro avec Madonna en couverture. Ou plutôt un des sept numéros du magazine de référence commercialisés entre 1985 et 1990 avec Louise Ciccone en couverture (!). Celui d’avril 1989. Je me souviens qu’il y avait en son sein (au magazine) un papier intitulé, je crois « O Suzy Q », rédigé par une malicieuse plume à propos de l’ouvrage « I’m With the Band : Confessions d’une groupie », lequel publié deux ans auparavant par la sulfureuse Pamela Des Barres. L’auteur de l’article n’était pas inconnu du préado eighties que j’étais, étant entendu que celui-ci effectuait de temps à autres des apparitions dans l’émission « Top 50 » animée par Marc Toesca : Alain Gardinier. Les années ont gentiment passé, et c’est avec émotion ni feinte ni exagérée que j’ai eu l’occasion d’interviewer ladite plume, trente-cinq minutes durant, en sa bibliothèque située quelque part dans le sud-ouest et par Skype, le lundi 24 octobre 2022 à 14 heures. Et ce, à l’occasion de la parution le 22 septembre précédent de « Neil Young : Sept décennies au sommet du rock » (GM éditions), une somme captivante, érudite et colorée (et définitive) consacrée au loner.

 

Art’n’Roll : Quand tu commences la rédaction d’un livre, par où commences-tu ?

Alain Gardinier : Je commence par où ? Ça dépend. Là on parle d’une bio d’un artiste, donc je commence par rechercher tous les docs que j’ai pu garder dans des boîtes, dans des trucs, mon bureau c’est une merde, il y a des bouquins partout, je cherche, je commence à trier et je me dis : est-ce que j’ai une trame ? Je fais en sorte d’être le plus précis possible, je suis un journaliste assez consciencieux, il fallait que ça soit une bio qui aille chercher la p’tite bête… Une fois que j’ai tout rassemblé, je compulse puis je me lance !

ANR : Tes sources sont listées en pages 248 et 249. Sans faire de lèche, j’ai l’impression qu’il y a une maitrise parfaite du sujet en dépit de sa richesse, on trouve deux ou trois informations minimum par ligne, mais ce n’est pas étouffe-chrétien, ce n’est pas rébarbatif… C’est restitué de façon fluide, aisément, comme dans la citation de Boileau « ce qui se conçoit bien s’énonce clairement… », et  l’on a comme dans l’idée que tu connaissais déjà toutes ces données avant d’entamer tes recherches… Me trompe-je ?

AG : Ouais ! J’ai en même temps appris plein de trucs. Ça dépend des bouquins que je fais, je fais des romans, je fais des dictionnaires, j’ai fait la bio de Marley il n’y a pas très longtemps, j’ai fait des choses assez grand public pour les éditions Gründ, mais là ce n’était pas ça : j’avais envie de faire un bouquin quelque part pour les fans, pour ceux qui aiment la musique de Neil Young et qui savent que c’est une personnalité hallucinante de l’univers du rock, de la musique moderne, ceux qui vont avoir envie de trouver des informations différentes. Donc, je connaissais pas mal de choses, car je les avais glanées ici et là, mais j’ai également appris plein de trucs ! Je me suis demandé si cela allait être étouffe-chrétien, mais je me suis dit que non, car ce qu’on recherche dans ce genre de bouquin ce sont des infos, des trucs « je ne savais pas », des détails sur des noms, sur des chansons… Voila. Je me suis attaché à faire ça ! C’était long (Sourire)

ANR : Deux choses pourraient être, en termes de détails comme tu dis, considérées comme les fils conducteurs de ton livre. C’est d’une part la géographie : je m’aperçois que, soit tu as effectué beaucoup beaucoup de recherches là-dessus, soit tu possèdes une maîtrise parfaite de la géographie nord-américaine…

AG : J’adore ça ! J’adore la géographie, la géopolitique, je trouve que c’est fabuleux ! Quand j’étais gamin, la première chose que j’ai faite dès que j’ai eu trois ronds, c’est de partir, je suis parti à dix-neuf ans aux Etats-Unis, en Californie, et j’adore ! Donc, évidemment, j’ai regardé les cartes, je sais où il habite, j’ai regardé les chemins… Les gens pensent que « Neil Young c’est la Californie », mais ne réalisent pas toujours que l’Etat de Californie fait 1 500 bornes, et donc c’était important à mes yeux de le localiser précisément, car connaître son environnement est important afin de comprendre sa musique. Du fait du côté boisé, de cette butte incroyable qui surplombe la Silicon Valley, c’est dément, de la mer également, de la Pacific Coast Highway, et surtout de ces petits bleds où vivent tous les mecs qui s’occupent de ses voitures ! Je connais également Malibu, je connais moins le Colorado donc j’en parle moins. Et je me suis amusé à regarder un petit peu comment était foutu l’endroit où il est né au Canada, je l’ai traversé en voiture, mais il m’a fallu aller voir plus précisément sur les Google maps : je regarde les plans, je regarde les maisons, parce que cela fait partie du truc pour ces artistes-là, comme pour Bob Marley avec la Jamaïque… Neil Young est attaché à son ranch, et à Malibu, il a composé « Zuma » et tous ces albums incroyables à Malibu, ses autres disques fantastiques ont été faits à Broken Arrow à côté de San Francisco, donc la géographie… C’est marrant car t’es le premier à me le faire remarquer, souvent je me dis que mes lecteurs ne captent pas cette dimension géographique… C’est vachement important ! Les lieux délimitent la qualité de travail d’un artiste, même pour la variété française ! Quand on entend que machin-truc est allé faire son disque dans tel ou tel endroit, cela veut dire quelque chose pour moi.

ANR : Le second fil rouge, c’est les voitures… On apprend beaucoup de choses sur Neil Young et les voitures, qu’il possède une deux-chevaux, qu’il a dessiné en couleur la collection de ses voitures… Et on sent dans la restitution que toi-aussi, tu es un passionné de vieilles voitures…

AG : Ouais. J’adore ça, c’est une passion, ça me parle. Quoique je ne suis pas grand fan des grosses voitures américaines, des muscle cars (NDA : air dégouté) les gros moteurs, les gros trucs, ça ne m’impressionne pas. Par contre, j’aime les voitures un peu différentes, avec des looks un peu improbables, les voitures des années 1940 et 1950 comme aime Neil Young c’est-à-dire des Cadillac, des Packard, elles ont apporté des innovations incroyables et cela m’intéresse. Je savais qu’il aimait les voitures et j’ai appris plein de choses à ce sujet : le chapitre sur ses voitures doit faire quatre pages, mais j’ai passé autant de temps dessus que sur un chapitre relatif à toute une décennie de sa musique !

ANR : Il y a une liste des remerciements en dernière page, et tu remercies Joni Mitchell…

AG : Je l’ai interviewée elle, ainsi que les autres musiciens qui figurent dans cette liste des remerciements, quand j’étais journaliste, et il a fallu que je me replonge là-dedans… J’ai fait une interview pourrie de Neil Young à une époque pourrie et j’avais gardé la cassette afin de retranscrire… De même pour Joni Mitchell, que j’ai rencontrée à Paris avec son mari de l’époque, Larry Klein, et j’ai été impressionné par elle. Au bout d’un moment je n’ai pas pu m’empêcher de lui parler de Neil Young, son mari s’est éloigné cela ne le concernait plus trop, et elle m’a dit plein de choses, donc c’était sympa et sympa à retrouver ! Grâce à ces gens-là j’ai pris du plaisir à faire ce livre, cela m’a donné du cœur, j’ai tout retranscrit et j’ai collé les diverses informations à droite à gauche. Quand Joni Mitchell m’a dit que quand elle a connu Neil Young elle habitait Détroit (NDA : prononcé à l’américaine) avec son premier mari et que Neil Young était alors un clochard qui jouait dans des clubs et dormait sur le canapé, ça m’a ouvert les yeux : je ne voyais pas ça comme ça !

ANR : Ahmet Ertegün (NDA : légendaire magnat de la musique, fondateur d’Atlantic Records en 1947, ayant entre autres signé Led Zep et AC/DC) figure lui-aussi dans la liste des remerciements… Balèze… Dans quelle mesure a-t-il contribué à ton livre ?

AG : Pareil. Je suis fasciné par ce mec, c’est l’un des personnages les plus intéressants que j’ai rencontrés dans ma vie. Et je travaillais au MIDEM à l’époque, qui avait organisé à Cannes un énorme truc dont il avait été président une année, et je l’avais interviewé tranquille pour moi et sur scène face à un parterre de journalistes, je faisais un peu l’entremetteur. Et le mec était brillant. J’ai toujours adoré Crosby, Stills, Nash & Young, pour leurs harmonies et pour quand ça déchire, donc je lui ai posé des questions sur eux, et ça aussi je l’ai retrouvé dans mes archives. Quand je vois que ce mec a été à la base de la carrière des plus grands groupes de tous les temps, et qu’il me dit (NDA : se penche en avant, convaincu) : « Buffalo Springfield ?!? Pour moi c’était un des meilleurs groupes du monde !!! J’avais le groupe le plus insensé que je connaisse et puis ça a merdé !!! », ça m’a fait rire, je pensais qu’il allait me parler d’AC/DC, d’Aretha Franklin, de n’importe quel groupe, j’ai tenté de le lancer sur d’autres artistes… Mais, il a insisté : « Buffalo Springfield, je les avais signés et quand ils se sont séparés, ce n’était pas possible !!! ». Je lui ai posé la question « Pourquoi Neil Young est-il revenu avec Crosby, Stills et Nash ? », et c’était un mec très intelligent, très malin, il a souri et m’a dit « Mais c’est moi. C’est à cause de moi. Quand le trio Crosby, Stills et Nash s’est retrouvé à faire de la scène, je leur ai demandé de prendre Neil Young avec eux, afin qu’il apporte un côté électrique », Graham Nash ne connaissait pas Neil Young et David Crosby n’était pas fan de l’idée, mais c’était celle d’Ahmet Ertegün, c’est un mec incroyable, son histoire est démente.

ANR : Il manquerait une liste de tes livres…

AG : L’éditeur m’a dit « Non, je ne fais jamais de la publicité pour les autres… ». J’avais mis une liste, il l’a enlevée. Bon voilà. Ce n’est pas très grave. La plupart des bouquins sont introuvables, je ne vais pas insister là-dessus. Mais c’est vrai, t’as remarqué ça (NDA : secoue la tête et sourit malicieusement)

ANR : Tu dois en avoir une palanquée au compteur, ce serait ton combiendetième ?

AG : je n’en ai pas fait tellement. J’ai fait beaucoup de télé, après j’ai monté une boîte de production ici qui m’a pris beaucoup de temps quand je rentrais le soir j’étais vanné, j’avais autre chose à faire, je m’y suis mis après, celui-là je crois que c’est mon vingtième. En « musique », je crois que je n’en ai fait que quatre ou cinq. J’étais détaché de tout cela, j’ai écrit d’autres trucs : un roman qui se passe en Corée du Nord, un dictionnaire du Pays basque, pas mal de bouquins sur la culture surf, autour de la glisse, un bouquin sur le rugby, un autre sur le festival punk de Mont-de-Marsan en 1976, « Punk sur la ville », qui était d’ailleurs une super proposition de l’éditeur, trop bien ! Mais, je n’ai pas les impressionnantes bibliographies de certains auteurs…

ANR : C’est un livre qui est riche, mais qui est également co-lo-ré !

AG : (NDA : Sourire)

ANR : La mise en page est superbe et facilite la lecture, de ce point de vue ça doit être un des meilleurs bouquins que j’ai eus entre les mains. La couleur marron – orangée est-elle un hommage à « Harvest » ?

AG : Oui bien sûr ! C’est une idée de Charlie le maquettiste de Lyon. Mon seul regret étant que j’aurais préféré une plus grosse police et davantage de pages, mais il y aurait un problème de papier. Ma prochaine commande sera pour Editis, qui est une grosse boîte de l’édition, et qui connaît également un problème de papier, il faut réduire réduire réduire le nombre de pages. Des photos ont sauté, je pense qu’il y avait une bonne centaine de pages de plus de prévues, mais cela reste un bouquin agréable parce que facile à transporter notamment. Avant qu’il ne soit réalisé, Charlie a eu cette idée de mise en page que j’ai validée de suite, pas la peine de batailler. Il y a la réminiscence d’« Harvest », il y a le côté Neil Young acoustique, pas la peine d’aller plus loin.

ANR : Tu es ami avec Véronique Sanson, a-t-elle lu le bouquin ?

AG : Je lui ai envoyé un texto hier soir pour savoir si elle avait eu le bouquin. Des fois elle répond le lendemain, des fois six mois après, elle est comme ça. Après, c’est vrai qu’elle m’a parlé de plein de choses que je n’ai pas mises dedans parce que c’est un peu intime, mais j’ai trouvé une photo marrante d’elle avec Neil que j’ai insérée dans le livre. Quand je parle de Neil à Véro, je constate qu’elle est restée collée à ses années 1970… Tout ce qu’il a fait après, elle n’en a rien à foutre ! Elle ne le sait même pas. Elle sait qu’il chante encore. Mais c’était une période difficile pour elle, elle était quand-même mariée avec un mec (NDA : Stephen Stills, de 1973 à 1979) qui la traitait… plus bas que terre ! Je lui parle de certaines choses de Neil, je vois bien qu’elle n’est pas du tout au courant. De fait, je pense que Crosby, Stills, Nash & Young c’est une entité (NDA : balaie de la main) qu’elle a un petit peu envie de mettre au loin d’elle, parce que ça été dur. De la part de Stills bien sûr, mais également des trois autres, elle vivait avec les quatre quelque part… Donc je ne sais pas si elle a lu le bouquin, j’ai envoyé un texto et j’attends la réponse…

ANR : Ta découverte de Neil Young, c’était quand et comment ?

AG : J’habitais à Biarritz et j’étais abonné à Best, à Rock et Folk, et à Extra, et j’ai lu une chronique sur ce type, et je me suis dit « c’est bien… ». Sans plus. Puis après c’est « Harvest » évidemment, comme tout le monde. Je lis la chronique « un album incroyable, bla, bla, bla », et je suis allé le commander, j’ai dû le recevoir dix jours après… « Recevoir », oui mais pas chez moi, il fallait alors se rendre chez le disquaire qui faisait également électroménager, et donc c’est un choc, on se laisse embarquer. Je l’ai réécouté cinquante ans plus tard avec le même plaisir, il y a tout, ce n’est pas uniquement un mec avec une guitare, il y a tout : du rock, de la country, de la musique classique quand il part avec l’orchestre à Londres, tout s’imbrique. C’était 1972 pour répondre à ta question. J’étais pas grand, hein…

ANR : La première fois que tu l’as vu en concert ?

AG : Très tard. Très tard, je suis parti à Paris afin de gagner ma vie à la fin des années 1970, et je crois que cela devait être 1982. Alors, j’ai recensé les concerts parisiens de Neil Young dans mon livre, mais je ne me souviens plus de mon premier. Je crois que c’était Baltard (NDA : a priori, le 16 septembre 1982 au Parc Départemental de l’Île Saint-Germain d’Issy-les-Moulineaux, sur le Trans Band Tour Of Europe…) J’sais plus, c’était avec Crazy Horse, ça envoyait, alors que moi-aussi je m’attendais au mec avec les cheveux longs, sa guitare, et qui allait nous faire « Heart of Gold ». Ça m’a plu, je ne savais pas que sur scène Crazy Horse était une véritable entité (NDA : l’air gourmand) Je me suis dit « Ca doit être génial de raconter l’histoire de ces mecs », c’était en 1982, et on se retrouve quarante ans plus tard à parler d’eux alors qu’ils jouent encore ensemble. C’est incroyable !

ANR : La première fois que tu l’as interviewé ?

AG : Je l’ai interviewé une seule fois. Et c’était une très mauvaise époque, celle des années 1980 où il était chez Geffen, il faisait ses disques entre guillemets « pourris » mais qui ne le sont pas vraiment, et sur demande de David Geffen j’étais parti à San Francisco avec un allemand, et je l’ai rencontré… Heu… Il n’en avait rien à foutre… De ce qu’il faisait à l’époque, de Geffen, et de nous… Mais gentiment, il n’a pas été agressif, il rigolait ! Quand j’ai réécouté le truc, il ne nous faisait que des réponses à la con. C’était l’époque d’ « Everybody’s Rockin’ » (NDA : sortie le 1er août 1983) il avait envie de faire du rock, et alors ?!? Il en avait envie. Cela a une signification si tu te mets dans sa peau à cette époque. C’est comme « Trans » sorti l’année d’avant, personnellement je n’écoute pas spécialement cet album controversé avec le vocodeur, très électronique… A cette époque, il s’occupait de son fils lourdement handicapé, il ne pouvait pas parler avec lui autrement qu’avec des claviers, son fils était entouré d’électronique… Je ne savais pas cela, ce plan à la Kraftwerk m’avait gonflé, et là, j’ai eu une autre approche, je l’ai réécouté et j’ai compris. Comme beaucoup d’artistes, sa musique est intimement liée à son quotidien.

ANR : Quelle est ta formation ?

AG : Aucune. J’ai eu la chance qu’un Monsieur me trouve un boulot d’assistant sur des plateaux cinémas, car j’adorais le cinéma. J’ai fait cela sept ans durant : second assistant, premier assistant… Ca m’a rétamé, j’étais trop jeune. Mais entretemps, j’allais à tous les concerts, parce que j’adore les concerts, j’avais un Minolta et je prenais les photos. Puis j’ai rencontré mon ami Patrick Coutin par l’entremise de sa sœur qui était journaliste, Patrick m’a demandé de réaliser la pochette du 45 tours « J’aime regarder les filles », puis CBS m’a pris des photos, puis des magazines de rock, puis je me suis mis à la machine à écrire grâce à ma pote Nicole : le premier et le deuxième papier ont été refusés, et le troisième accepté. Avoir eu une formation de journaliste m’aurait fait gagner du temps. T’as un certain temps pour rédiger ton papier, et la fin doit se rapprocher de l’idée du début, c’est comme un film ! Je ne savais pas tout cela, je l’ai appris sur le tas.

ANR : Ton émission « Culture Rock » sur M6 a participé à ma culture. En lisant ton livre sur Neil Young, j’ai retrouvé une façon de raconter ainsi que des sujets que tu abordais y compris furtivement dans cette émission, tu m’as aujourd’hui notamment parlé de Joni Mitchell, de Buffalo Springfield, du cinéma, de Patrick Coutin, lesquels ont tous fait une apparition dans tes documentaires… Tu y as développé ta vision des choses en somme toute, un univers, quelque chose de cohérent, de pédagogique, dit de la même manière et sur le même ton… 

AG : Les gens me disent que j’écris comme je parle et comme je suis, et c’est tant mieux. Tant mieux. J’avais fait des rubriques à Nulle part ailleurs, sur la musique et tout. Puis un jour, vers 1992, M6 vient me chercher, ou plutôt le producteur, me disant « Bon, on a une émission qui s’appelle « Culture Rock » elle ne marche pas, il y a Lio qui a tenté de la présenter, Tom Novembre, plein de gens, elle ne marche pas, on cherche quelqu’un qui soit rédacteur en chef et qui développe l’émission ». J’ai accepté, j’ai bien sûr été obligé de faire Madonna (NDA : encore elle ?) de faire les Stones, à condition qu’en retour on fasse un J.J. Cale, qu’on fasse un Neil Young… Au début, j’ai fait U2 parce qu’il le fallait bien, mais très vite j’ai commencé à mettre un peu plus ma patte et faire les artistes que j’aime.

ANR : Tu fais apparaître Neil Young dans l’émission consacrée à la rétrospective de l’année 1972, et Buffalo Springfield dans celle de l’année 1967…

AG : J’en ai aucun souvenir, on faisait une émission par semaine, je ne les réalisais pas toutes, même si je faisais en sorte d’en réaliser au minimum une par mois, j’étais rédacteur en chef mais je faisais aussi la voix off, et plein d’autres tâches. Je faisais les artistes auxquels je tenais, j’ai fait Leonard Cohen par exemple. Les Depeche Mode, Cure et tout ça, je laissais faire les autres, notamment Kamel, car ce n’était pas ma culture. Je ne me souviens pas de la plupart de nos réalisations, car je ne les ai pas regardées depuis. 95 % des journalistes n’aiment pas se regarder, moi je ne supporte pas. A l’époque, on devait me filer des VHS que je ne regardais même pas, c’est con parce qu’elles sont pas mal ces émissions… Un mec m’a récemment envoyée celle que j’avais faite avec Calvin, avec Calvin Russel à Austin. Ces émissions sont un bon reflet de l’époque, il y en a qu’on a faites un peu vite, d’autres très sympas… ZZ Top par exemple, je m’étais lié d’amitié avec Billy Gibbons, nettement moins avec l’autre qui était un peu hard quand-même, les deux autres étaient hard mais on s’était bien marrés. Dusty Hill était quant à lui assez renfrogné…

ANR : C’était un des derniers, en 1994, pour la sortie d’« Antenna »… 

AG : Je ne me souviens pas…

ANR : Penses-tu que le format « Culture Rock » pourrait fonctionner aujourd’hui ?

AG : Le rock est absolument partout. Ca s’est arrêté quand Tina Turner s’est retrouvée dans la pub, Joe Cocker, etc… Il y avait la rareté quand j’étais gamin, celle qui te donne des frissons tard le soir quand tu regardes ton artiste préféré à la télé. Maintenant c’est partout, et les concerts, et Internet. Le public a moins besoin de se pencher sur le passé. Je préfère le format « livre » parce que je m’adresse au vrai fan, à celui qui va prendre son temps. Il y aurait une émission genre « Culture Rock » qui parlerait d’un artiste, d’une star, je ne sais même pas si je regarderais en fait… Ou alors peut-être en replay. Le Culture Rock sur Neil Young, il était d’une durée de vingt-six minutes en comptant les coupures pub, j’espère que mon livre ne se lira pas en vingt-six minutes…

ANR : Ton meilleur souvenir en tant qu’interviewer ?

AG : Mon meilleur souvenir sera double : Peter Gabriel et Leonard Cohen. Des mecs fabuleux avec lesquels j’ai eu la chance de faire plus que la simple interview. Leonard Cohen parce que j’habitais alors un appart’ rue Vavin, il venait prendre son café en bas et Carole Laure avec laquelle je travaillais sur des tournages nous avait présentés. Peter Gabriel parce que je suis parti à Dakar avec ses filles, lors d’un concert pour libérer Mandela. Ces ceux-là sont brillants, cultivés, allant plus loin que la simple musique, ils sortent de la norme du fait de leur culture, du fait de leur humilité, du fait de leur intelligence, de leur envie de partage : ils m’ont nourri.

ANR : Et le pire ?

AG : Le pire : Lou Reed, il venait, il ne répondait pas aux questions, et pas qu’aux miennes, on avait envie de lui dire « Pourquoi tu ne restes pas chez toi à New-York ? Pourquoi tu t’imposes de faire de la promotion pour rencontrer des journalistes que tu méprises ? ». J’ai eu des moments formidables avec des centaines d’artistes, qui piochaient, qui aimaient qu’on dévie et qu’on leur raconte des trucs, mais Lou Reed aucun intérêt. La troisième et dernière fois que je l’ai vu, j’y étais allé pour Canal, avec les caméras et tout, il arrive, il s’assoit, il ne dit pas bonjour, il venait de snober le confrère de TF1 venait de passer avant moi, je lui pose une question et il répond de travers, je me lève et je dis « on coupe ». L’attachée de presse a pété les plombs. « Mais reste chez toi mon gars quoi ! ». Il vendait assez de disques, et n’avait qu’à dire « Je n’ai pas envie d’aller parler à ces crétins de journalistes européens ». Je n’ai pas véritablement eu de problème avec lui, c’est juste qu’il ne se passait rien et qu’il n’en avait rien à faire…

ANR : Un mot de la fin ?

AG : Je suis fier d’avoir fait ce bouquin. J’y ai passé un temps fou. J’en avais envie depuis longtemps. En tant qu’auteur, j’ai pour la première fois connu ce sentiment de satisfaction d’avoir cerné un artiste. Et en tant que lecteur que je suis quelque part, car je me suis relu, j’ai celui d’avoir comblé un vide à titre personnel. Beaucoup de bios sur Neil Young m’avaient effectivement laissé un sentiment d’inachevé, j’en ai pourtant lu plein, des bouquins américains qui m’avaient insatisfait. Je me suis dit que le public allait apprécier d’apprendre telle ou telle chose, que tel truc est lié à tel autre, que tel album vient de là, que tel ami vient de là. Ce type-là a eu une vie incroyable, puisqu’à part les Rolling Stones et une petite poignée d’autres artistes, qui peut dire avoir commencé en 1964 et être toujours là dans la version originale ?!? D’accord il est tout seul, mais il a toujours Crazy Horse. Je me suis relu afin de préparer les interviews, et me suis dit avoir fait un boulot satisfaisant, parce qu’on sort du contexte de l’artiste : on va voir les voitures, on va voir les trains, on va en Californie, on va en France, on se balade… J’ai essayé de faire quelque chose de global, qui englobe sept décennies. A mon petit niveau j’essaie de lui rendre hommage.

ANR : Merci Alain. Je te souhaite une bonne journée.

AG : A très bientôt.

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